Reportage
Des cueilleurs volent au secours des fruits abandonnés dans les vergers

Vos arbres croulent sous les pommes et vous ne savez qu’en faire? Des bénévoles se chargent de les récolter à votre place, afin d’éviter le gaspillage alimentaire.

Des cueilleurs volent au secours des fruits abandonnés dans les vergers

À l’arrière d’un garage à Chavornay (VD), trois pommiers semblent abandonnés, au milieu de voitures cabossées. Ils aiguisent pourtant les appétits, cet après-midi-là. Six bénévoles ont fait le déplacement spécialement pour eux. Échelles et caisses sous les bras, ils sont prêts à en récolter les fruits avant qu’ils ne tombent au sol.

«Nous ne les cueillons plus par manque de temps, reconnaît Marina Bussy, propriétaire des lieux. Nous avons choisi de laisser des volontaires le faire pour que ces pommes ne soient pas perdues.» En contrepartie, les cueilleurs du jour repartiront avec des fruits, en cédant une partie à la famille Bussy, qui en fera du jus.

Comme elle, de nombreux particuliers ont cessé de récolter leurs pommes, coings ou pruneaux, par ce qu’ils n’en ont pas le loisir ou ne savent simplement pas que faire de tous ces fruits. Or ces derniers, parfois issus d’anciennes variétés peu ou pas disponibles dans les magasins, sont très demandés, a constaté Yvain Mauron, qui vient de lancer l’association SOS Fruits.

Coup de pouce bienvenu
«J’ai récemment perdu mon travail, j’avais du temps et envie de me reconnecter à la nature, explique le trentenaire. Un ami m’a proposé de venir cueillir des cerises chez lui. J’en ai ramassé 30 kilos, ce qui ne représentait qu’un quart des fruits de l’arbre. C’était impressionnant.»

Yvain Mauron commence alors à repérer tous les arbres poussant au fond des jardins, dont souvent personne ne s’occupe, alors qu’il est prêt à le faire. Il s’en va ensuite frapper aux portes de ses voisins pour faire connaître sa démarche. Le concept de SOS Fruits a rapidement séduit au-delà de son cercle d’amis. En quelques semaines, l’association a attiré plus de 120 bénévoles dans le Nord vaudois, alors que des groupements similaires prennent soin des vergers ailleurs en Suisse romande (lire encadré). Trois ou quatre récoltes ont lieu chaque semaine dans la région, et le rythme ne faiblit pas. Au contraire, cette année 2020 est particulièrement prolifique pour les fruitiers. Son téléphone ne cesse donc pas de sonner, et sa liste de contacts de s’allonger.

«Souvent, les gens m’appellent au dernier moment, quand les fruits sont déjà très mûrs, déplore-t-il. On essaie d’aller les récolter rapidement. C’est gratifiant et les échanges humains font du bien.»

Des bénévoles conquis
Au pied d’un pommier, Sylvie Brouyère s’active, remplissant cageot sur cageot. C’est la première fois que la Vallorbière se mobilise pour SOS Fruits. «On agit, on rencontre des gens et on évite le gaspillage, cette initiative est totalement en adéquation avec ma façon de vivre. Tout le monde est gagnant, ça fait du bien», explique cette mère de famille, qui a déjà prévu de transformer les pommes gâtées en compote et de stocker les plus belles pour l’hiver.

Un effort bien récompensé
À côté d’elle, Océane Auzepy saisit une perche pour décrocher des pommes récalcitrantes. «J’ai l’impression de faire quelque chose de bien en cueillant ces fruits, garantis sans pesticides en plus. Ça demande un effort, mais cela leur donne une autre saveur et je transmets ainsi mes valeurs à mes filles, qui m’accompagnent pendant les récoltes.» Au bout de deux heures, les bénévoles se répartissent un tiers de leur butin, un tiers revenant au propriétaire s’il le souhaite et le reste à l’association, qui l’écoule dans des restaurants de la région ou les donne aux Cartons du Cœur. «Mon but est de rentrer dans mes frais, et de pouvoir équiper l’association avec du matériel adéquat, poursuit Yvain Mauron. L’idée n’est vraiment pas de se faire de l’argent avec ces fruits, mais de les valoriser.»

Cet après-midi, une partie des pommes seront pressées à façon à Chavornay, par l’équipe de la Bourse aux fruits, qui récupère les fruits délaissés depuis huit ans. Elle s’occupe aussi du pressoir de Lausanne, remis en service cette semaine. «Je vois ces initiatives d’un très bon œil, commente Cyril Maillefer, directeur de la structure, qui alimente des petits commerces en travaillant avec des personnes en réinsertion sociale. En collaborant, on peut s’organiser et développer une filière.» Utiliser ces délices de saison permet aussi de remettre en lumière des arbres parfois en piteux état. «Ces démarches valorisent les vergers, leurs propriétaires choisiront peut-être de tailler leurs arbres à l’avenir, allongeant ainsi leur durée de vie», conclut-il.

+ D’infos www.sos-fruits.ch; www.lausanne.ch/pressoir

Texte(s): Céline Duruz
Photo(s): Thierry Porchet

Les récoltes s’organisent

Des démarches similaires ont vu le jour en Suisse romande dans l’optique de réduire le gaspillage alimentaire et de valoriser les fruits oubliés. Dans le canton de Neuchâtel, l’association Fruits en cavale prélève les fruits en abondance depuis 2016. Il y a deux ans, un groupement comparable a vu le jour à Lausanne, baptisé Cultive-toi. En 2019, ce dernier a récolté 1800 kilos de fruits et légumes, grâce à 274 participants.

+ D’infos www.cultive-toi.ch; Fruits en cavale à l’adresse suivante: fruitsencavale@protonmail.ch

Questions à...

Boris Bachofen, responsable de l’association Rétropomme

Que pensez-vous de ces initiatives?
Les récoltes de fruits représentent un travail qui n’est pas assez valorisé, car il n’est pas rentable. De nombreux propriétaires renoncent à ramasser leurs fruits, faute de temps. Si des bénévoles s’en chargent, c’est une bonne chose à la fois pour eux et pour les vergers.

Est-ce aussi un moyen de goûter à des variétés plus anciennes?
Oui, il arrive que ces arbres oubliés produisent des variétés de fruits moins courantes, mais ce n’est pas forcément le cas.

Est-ce que cela permet de limiter réellement le gaspillage des fruits?
Oui et non. Il faut à mon avis relativiser l’effet concret de ces initiatives. Les pommes récoltées sur l’arbre de son voisin sont autant de fruits que nous n’achèterons finalement pas au magasin et qui, eux, risquent aussi d’être jetés. En Suisse, nous sommes dans un système de surproduction fruitière depuis les années 1950, quand les vergers à haute tige ont été arrachés au profit des cultures intensives. Il y a un problème dans le système global qu’il faudrait régler.

+ D’infos www.retropomme.ch