Agriculture
Des bénévoles redonnent vie aux céréales anciennes en Valais

Durant tout l’été, la rédaction de Terre&Nature participe à des projets de volontariat en faveur de la biodiversité, du patrimoine ou de l’agriculture. Cinquième volet à Conthey, pour récolter des variétés locales rares.

Des bénévoles redonnent vie aux céréales anciennes en Valais

Il n’est que 7 heures du matin et le soleil tape déjà fort lorsque je monte dans le train. Dans mon sac, un chapeau, une gourde et un sécateur. Après un début d’été marqué par de fortes pluies, le beau temps est de retour et l’heure des récoltes a sonné. Le rendez-vous a été donné devant l’École d’agriculture du Valais, à Conthey. Ici, 6000 m2 de terre sont dédiés à la multiplication de céréales anciennes depuis quatre ans, sous l’impulsion de la coopérative Co-é-sion, cofondée par Brigitte Elling.

«Notre but est de redonner vie aux variétés de la région qui ne sont presque plus cultivées aujourd’hui, mis à part le seigle. Ces céréales rustiques sont moins transformées, plus résistantes et plus nutritives que leurs équivalents modernes. Nous voulons revaloriser ce patrimoine et promouvoir les circuits courts», explique-t-elle en m’accueillant aux abords du champ.

 

Des blés d’Orsières et d’Arbaz

Si la première année, plus de quarante variétés différentes ont été testées, une dizaine s’épanouissent sur la parcelle en cette saison. «Nous n’avons gardé que celles qui sont les plus productives et qui n’ont pas besoin d’être arrosées. Nous sommes toujours en train d’expérimenter», relève la quinquagénaire, ancienne secrétaire de direction. Ainsi, on retrouve l’engrain, l’amidonnier, l’épeautre et l’orge, ainsi que plusieurs types de blés, comme ceux d’Orsières et de Lens, originaires des villages valaisans du même nom. La plupart seront récoltés à l’aide d’une moissonneuse-batteuse par un paysan. Quant aux plus petits lots – comme ceux de blés d’Arbaz et de Nonette de Lausanne –, ils sont ramassés à la main par les bénévoles.

Telle est donc notre mission du jour. Pour l’accomplir, je suis accompagnée de Marianne, institutrice à la retraite, et de France, infirmière retraitée. «Nous ne sommes pas du tout issues du milieu agricole. D’ailleurs, avant de participer au projet, je ne savais même pas qu’il y avait différents types de blé!», pouffe la première. «Nous avions envie de revenir à l’essentiel et de nous engager pour une alimentation plus saine et cohérente», déclare la deuxième. Munies d’un sac en plastique accroché autour du cou, nous nous mettons au travail, en commençant par le blé d’Arbaz.

«Ces graines proviennent de la banque de gènes d’Agroscope, à Nyon (VD), qui conserve de nombreuses variétés centenaires, souligne Brigitte. Nous en avons semé 500 grammes et espérons en récolter 2 kilos, que nous remettrons en terre à l’automne.» Appliquées, nous coupons les plus beaux épis, en prenant soin de mettre une gerbe de côté, qui sera utilisée lors des différents ateliers de sensibilisation à la biodiversité organisés par les bénévoles.

 

Un moment convivial

Après avoir rassemblé nos premières récoltes dans un grand sac en papier, nous nous dirigeons vers la Nonette de Lausanne, un blé très ancien auparavant cultivé en Europe centrale. Les fortes de pluies ayant couché une bonne partie des tiges à terre, nous progressons tant bien que mal entre les rangées, en tentant de récupérer un maximum d’épis. «C’est la jungle ici!» sourient les trois collègues, qui avaient déjà tenté de faire pousser cette variété il y a deux ans, sans succès. «Nous apprenons sur le tas, ce qui n’est pas toujours facile. Heureusement, des agriculteurs sont là pour nous conseiller. Et par chance, les cultures n’ont souffert d’aucune maladie jusqu’à présent.»

Dernière étape, enlever les «intrus» dans le champs d’amidonnier noir, où quelques plants de seigle ont malencontreusement poussé. «C’est probablement à cause du vent, qui a déplacé les graines des parcelles voisines», remarque Brigitte en regardant au loin. Motivées, nous scrutons les alentours pour pouvoir les enlever avant le passage de la moissonneuse, afin de garantir une moisson la plus pure possible. Alors que la chaleur devient pesante, l’effort est atténué par les bavardages et les rires. «Les récoltes, c’est avant tout un moment de partage et de convivialité», lancent-elles en chœur.

Une fois les graines séparées de l’épi à l’aide d’une batteuse, une partie sera conservée par la coopérative, qui souhaite créer sa propre banque de semences. Le reste sera vendu à des agriculteurs qui pourront les cultiver afin de produire de la farine, dans le cadre de l’association de filière Céréal’hier (voir ci-dessous). «Bientôt, les Valaisans pourront se procurer de bons pains élaborés à partir d’anciennes céréales de leur région. C’est un beau cercle vertueux!» se réjouissent les trois volontaires, en se donnant rendez-vous demain à l’aube pour se remettre à l’œuvre.

Texte(s): Lila Erard
Photo(s): Sedrik Nemeth

Du pain 100% local

L’association Céréal’hier a vu le jour en 2020, dans le but de créer une filière «des graines à l’assiette». Elle regroupe actuellement la coopérative Co-é-sion, qui réunit trois boulangers et six agriculteurs valaisans. Ces derniers cultivent sur leur exploitation des céréales anciennes multipliées à Conthey (VS). «Il faut environ 300 kilos de graines pour un hectare. Jusqu’à présent, nous n’avions pas assez de volume. Mais aujourd’hui, c’est possible», se réjouit Brigitte Elling. Afin d’obtenir une mouture traditionnelle et une meilleure farine, deux producteurs ont investi dans des moulins à meule de pierre. Ainsi, les boulangers partenaires peuvent confectionner du pain local en circuit court. À l’image d’Émeric Rousseau, de la Cave à Levain, à Champlan (VS), qui propose des spécialités à base d’engrain, d’amidonnier et d’épeautre sur les marchés et dans divers points de vente de Sion à Lausanne. «Il y a quelques années, les boulangers avaient peu accès à ces céréales, car elles sont difficiles à manipuler et n’intéressent pas l’industrie. Mais elles ont aussi plus de goût et permettent de revaloriser notre terroir et notre métier. Cela plaît beaucoup aux clients», observe-t-il.

Comment participer?

Actuellement, six bénévoles participent au projet «Céréales anciennes» de la coopérative Co-é-sion. Pour les rejoindre, il suffit d’appeler la responsable Brigitte Elling au numéro ci-dessous ou de contacter l’équipe par mail. Des personnes sont recherchées aussi bien pour les récoltes que pour la gestion du site ou la communication, selon les capacités de chacun. Le reste de l’année, les volontaires sont également réquisitionnés pour semer les graines en automne et entretenir les parcelles quelques heures par mois.

+ d’infos Tél. 079 590 8587 ou info@cerealhier.ch