Cette année, seuls les éleveurs et leur famille ont pu assister au mélange, c’est-à-dire aux premiers combats des reines sur les alpages, la faute au coronavirus. Reportage sur les hauts de Crans-Montana (VS).

Un contrôle obligatoire
La musculature des bêtes est déjà impressionnante à cette période de l’année. «Elles ont passé plus d’un mois dehors avant de venir ici. Elles doivent être en forme pour pouvoir brouter l’herbe de la Piste nationale (ndlr: sur laquelle les skieurs suisses ont brillé lors des championnats du monde de 1987) à quelques pas de là, rappelle Gérard Devillaz, propriétaire de Flika, la reine des deux années précédentes. Comme ses concurrentes, la favorite ne bronche pas lors du contrôle sanitaire, obligatoire avant de rejoindre le pâturage qui servira à la compétition. «On vérifie que leurs cornes ne soient pas trop pointues à l’aide d’un calibre fourni par la fédération, explique l’éleveur de Chermignon. On lime avec du papier de verre ce qui dépasse pour éviter qu’elles ne se blessent.» Puis, un numéro est tracé sur leur dos, accompagné parfois d’un «R» indiquant les reines de chaque troupeau. Pas de doute, Flika, qui porte le numéro 72, sera au cœur de toutes les attentions.
Combats en petit comité
Dans l’écurie, les éleveurs attendent patiemment, mais on sent que la tension monte peu à peu à mesure que s’approche le début des combats. À l’extérieur, quelques spectateurs ont rejoint l’alpage, faisant fi de la météo capricieuse. «Normalement, ils sont près de 300, mais cette année, nous n’avons fait aucune publicité pour éviter une contamination par le coronavirus, informe
Michel Vocat, qui s’est résolu à laisser sa buvette fermée ce dimanche. Si nous devions être mis en quarantaine, cela deviendrait compliqué. Mais on a tout de même de la chance, certaines inalpes se sont faites à huis clos.» Ce dernirer profite de rappeler les consignes sanitaires aux éleveurs, avant de procéder au tirage au sort permettant de répartir les troupeaux sur la place des combats. Ils espèrent que leurs protégées se retrouveront le plus loin de Flika, redoutée de tous. Une fois la répartition faite, les troupeaux regagnent leur enclos respectif dans un concert de sifflements de marmottes. Les vaches donnent aussi de la voix, grattant le sol pour impressionner leurs voisines.
Un départ explosif
Les connaisseurs, qui ont pris place autour du ring, cherchent déjà la favorite du regard. «Flika a vraiment un physique atypique avec ses longues cornes et sa petite tête, reconnaît Gérard Devillaz. Elle a déjà été reine, mais rien n’est acquis: à l’alpage, il faut tenir la distance!» Briller le premier jour est une chose, mais cela ne signifie pas que sa bête sera sacrée à la fin de la saison. Le titre ne sera attribué que dans une centaine de jours, au moment de la désalpe. Remporter cette distinction s’apparente donc plus à un marathon qu’à un coup de poker. «On dirait que certaines vaches élaborent une stratégie, ajoute le Chermignonais. Elles se reconnaissent d’année en année, parfois au son de leur sonnette.»
Alors que le public se rassemble le long des clôtures, pour être au plus près du spectacle les rabatteurs enlèvent les fils séparant les concurrentes. Georgy Vocat, 88 ans, savoure l’instant, se remémorant les bons moments passés ici lorsqu’il gérait l’alpage. Ce qui ne l’empêche pas d’être critique envers les vaches appartenant à sa famille. «Ces toques se battent entre elles, commente-t-il avec verve. Il faut qu’elles gardent des forces pour les autres combats. Normalement, le froid calme leurs ardeurs, mais là, ça a commencé très fort!» Tout le monde garde les yeux rivés sur Flika: redoutable, elle se défait de ses adversaires les unes après les autres, pour le plus grand plaisir de son propriétaire qui n’est jamais très loin.
Deuxième round l’après-midi
Les passes s’intensifient au fil des minutes; mais certaines hérens commencent déjà à s’essouffler, renonçant aux combats pour brouter l’herbe grasse du pâturage. La tension retombe d’un cran, l’attention des spectateurs aussi. Il est déjà midi. Alors que les vaches rejoignent leur étable, pour y être soignées, les joutes, verbales cette fois, continuent autour d’un verre de vin et d’une assiette de fromages. «Elles sortiront à nouveau en fin de journée, signale Michel Vocat. Ensuite, elles passeront la journée dehors, ne rentrant que la nuit.» On ne saura qu’à la fin de l’été si Flika conservera son titre pour la troisième année consécutive, au terme de multiples combats, qui se dérouleront cette fois-ci loin des regards.
En chiffres
Les alpages en Valais
- 536 alpages déclarés au Service de l’agriculture cantonal.
- 15 000 vaches et 15 000 têtes de jeune bétail bovin y sont alpées.
- 8,6 millions de kilos de lait sont produits chaque été, dont 6,2 sont transformés directement sur l’alpage.
- Le tiers des vaches alpées sont des hérens.
- 30’000 brebis passent aussi l’été en montagne.
Combats annulés, centenaire repoussé
L’année 2020 devait être festive pour les éleveurs de vaches d’Hérens. Ils s’apprêtaient à célébrer en grande pompe le 100e anniversaire de la Fédération d’élevage de cette race emblématique du Valais, plus connue pour sa combativité que pour sa production laitière. C’était compter sans la crise du coronavirus. Les organisateurs de la manifestation ont annoncé dernièrement le report de la fête, mais aussi de la parution de l’ouvrage consacré aux célèbres vaches noires prévue en marge de cet événement, à l’an prochain. La pandémie a aussi entraîné l’annulation des combats des reines de la saison, attirant trop de spectateurs pour garantir les distances sanitaires exigées. Ces dernières ont toutefois pu briller sur un timbre à leur effigie, en vente à La Poste depuis le mois de mars.