Viticulture
De nouveaux cépages vont arriver

Même si la vigne n’est pas encore sortie de sa torpeur hivernale, l’année viticole 2017 peut déjà être qualifiée de millésime exceptionnel. Cinq nouveaux rouges rejoignent le catalogue des cépages helvétiques.

De nouveaux cépages vont arriver

Développés par les chercheurs d’Agroscope, cinq nouveaux cépages ont été présentés en janvier dans le cadre de Swiss Expo à Lausanne. Tous sont issus de croisements effectués à la fin des années nonante pour obtenir des plants rouges à la fois résistants au botrytis, capables de s’adapter sans peine aux conditions du vignoble suisse et définis par une palette aromatique de type méridional. D’où les noms choisis pour les nouvelles variétés: gamarello, merello, cabernello, cornarello, et nerolo. «Le botrytis reste le pathogène numéro un pour la viticulture suisse, rappelle Jean-Laurent Spring, chef du groupe viticulture d’Agroscope. Les possibilités de lutte phytosanitaire sont restreintes en raison de sa résistance et son impact économique et qualitatif potentiel est important selon le millésime et la situation.»

Un même géniteur: le gamaret
C’est la raison pour laquelle ces nouveaux cépages ont tous pour père le gamaret, champion incontesté de la résistance à la pourriture grise, issu d’un croisement de gamay x reichensteiner effectué en 1970. Régulier et d’une conduite à la vigne aisée, il a fait la preuve de sa faculté à s’adapter et occupe désormais la quatrième place des cépages rouges dans le vignoble suisse – la cinquième toutes couleurs confondues. Sa seule faiblesse réside en une assez grande sensibilité aux maladies du bois dans les terroirs favorisant une vigueur élevée de la vigne.
Les autres variétés utilisées dans les croisements sont «des cépages européens à forte identité et à potentiel qualitatif élevé, mais dont l’aire d’adaptation en Suisse est restreinte, résume Jean-Laurent Spring, cabernet, merlot, humagne rouge, nebbiolo. La tendance est à des rouges puissants, alliant structure et équilibre et personnalité affirmée, typés sud». Un pari sur l’évolution du marché qui incombe aux chercheurs: «Nous devons anticiper les changements climatiques, la pression accrue de certaines maladies et la sensibilité aux aspects écologiques.»
Cette vision à long terme, la longueur du processus la rend obligatoire: plus de vingt ans se sont écoulés entre les premiers croisements et les étapes finales (dénomination, multiplication des clones et certification). Des essais de culture et de vinification, en particulier, sont en cours depuis plusieurs années; les nouveaux cépages ont donc été plantés dans chacun des trois sites expérimentaux d’Agroscope, à Pully (VD), Gudo (TI) et Leytron (VS) (sauf pour le cornarello, qui n’est testé que depuis peu au sud des Alpes). Les chercheurs ont observé leur comportement durant six millésimes (de 2008 à 2013) en relevant notamment la date des vendanges, le poids des baies, celui des grappes, le rendement, le taux d’attaque de pourriture grise et acide des baies, et enfin la teneur en sucre et en acidité des moûts. Pour chacun des trois sites, une moyenne des six récoltes a ensuite été établie.
Les moûts obtenus à chaque vendange ont été vinifiés dans chaque station et les vins analysés en laboratoire afin de déterminer leur teneur en alcool, l’acidité totale, l’indice de polyphénols totaux (un critère intervenant dans l’aptitude à la garde du vin), la teneur en anthocyanes et l’intensité colorante. Là encore, une moyenne a été établie. Les vins ont ensuite été dégustés à l’aveugle par un panel de professionnels, qui en ont fait une description organoleptique précise (lire les encadrés ci-dessous). La collaboration avec des producteurs privés intéressés à tester les nouveaux cépages est tout aussi précieuse, relève Jean-Laurent Spring: «Ils mettent leur patte personnelle à la culture et au travail en cave, ce qui donne un avant-goût très intéressant de ce qui peut se faire; leur rôle de relais auprès de la profession est aussi irremplaçable.»

Encore un peu de patience
Reste que «la mise à disposition de matériel de culture prendra encore quelques années», souligne le chercheur. Et si les nouveaux rouges sont prometteurs, leur succès n’est pas acquis pour autant. Car si le gamaret est un succès, d’autres, comme le charmont (chasselas x chardonnay), n’ont jamais vraiment «décollé». Au final, ce sont les producteurs et les consommateurs qui auront le dernier mot et useront, ou non, du privilège de disposer de cinq nouvelles nuances de rouge. Et pas seulement de rouge, puisqu’un nouveau cépage blanc, également développé à Agroscope, mais dans le cadre d’un autre programme de recherche, devrait être homologué d’ici à 2019: un plant multirésistant (au botrytis, mais aussi à l’oïdium et au mildiou), «petite sœur» du divico mis sur le marché en 2013.
De fait, la multirésistance a remplacé la lutte contre la seule pourriture grise comme mot d’ordre des chercheurs; Agroscope y travaille également, en collaboration avec l’INRA Colmar. Et à l’horizon 2025, de nouveaux cépages rouges «transnationaux» devraient à leur tour arriver sur le marché, cumulant plusieurs gènes assurant une résistance encore plus élevée et stable aux maladies fongiques de la vigne.

+ D’infos  Présentation à télécharger sur www.vitiplus.ch


  • Cabernello: Le plus corsé
    Parents
    Cabernet franc x gamaret.
    À la vigne Plus précoce de 2 à 3 semaines que le cabernet sau­vignon (vendanges le 8­ oc­­to­bre à Pully/VD, le 19 sep­tembre à Gudo/TI et à Leytron/VS ). Productivité moyenne à élevée (0,7 kg/m2 à Gudo, mais 1,19 kg/m2 à Pully après égrappage de 2 et 5 grappes/cep environ.  Faiblement sensible au botrytis. Taux de sucre élevé (entre 93° Œ au Tessin et 102° Œ en Valais).
    Dans le verre Fruits noirs, cassis, cerise noire, épices piquantes, poivron, piment réglisse, poivre, menthol café, cuir. Vin puissant
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  • Merello: Le plus puissantParents Merlot x gamaret.
    À la vigne Plus précoce de 10 à 15 jours que le merlot (vendanges entre le 16 et le 29 septembre selon les stations). Productivité moyenne à élevée (1,28 kg/m2 à Pully et 0,87 kg/m2 à Leytron après un égrappage d’environ 5 grappes/cep, 0,70 kg/m2 à Gudo). Bonne résistance au botrytis. Taux de sucre élevé (106° Œ en Valais).
    Dans le verre Cerise, cassis, mûre, sureau, poivre vert et noir, réglisse, poivron, lierre, olive, notes empyreumatiques discrètes. Structure puissante, masse tannique élevée, tannins charpentés et bien enrobés. Bon profil de vin de garde.
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  • Gamarello: Tannins équilibrésParents Merlot x gamaret.
    À la vigne Même précocité que le merello (10 à 15 jours plus tôt que le merlot) et même tendance à être plutôt productif en dépit de l’égrappage (1,04 kg/m2 à Pully, 0,97 kg/m2 en Valais et 0,90 kg/m2 à Gudo). Bonne résistance au botrytis. Teneur en sucre élevée (108° Œ à Leytron).
    Dans le verre Fruits noirs confiturés, épices piquantes, poivre, réglisse, poivron (marqué en cas de maturité insuffisante), notes empyreumatiques, cuir, café. Structure puissante, équilibre entre tannins souples et charpentés. Bon profil de vin de garde.
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  • Cornarello: Le plus tendre

    Parents Humagne rouge x gamaret.
    À la vigne Plus précoce de 2 à 3 semaines que l’humagne rouge (vendanges le 5 octobre à Pully, le 24 septembre à Leytron).  Très productif (1,45 kg/m2 à Pully après un égrappage de 5 grappes par cep), taux de sucre moyen à élevé (92° Œ à Pully, 100° Œ à Leytron). Assez bonne résistance au botrytis.
    Dans le verre Fruits noirs confiturés, cerise noire, mûre, fraise, épices douces, sous-bois, humus, notes empyreumatiques, cuir. Charpente moyenne, tannins tendres et soyeux, agréables dès la jeunesse, mais possédant un bon potentiel de garde.
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  • Nerolo: Le transalpinParents Gamaret x nebbiolo.
    À la vigne Précocité proche de celle du merlot ou du cabernet franc. Productivité moyenne, mais suffisante (égrappage faible, 1,32 kg/m2 à Pully), taux de sucre élevé  (102° Œ à Pully), excellente résistance au botrytis (équivalente ou supérieure à celle du gamaret). Dans le verre Fruits rouges, cerise, eau-de-vie de framboise, notes épicées, poivre, notes mentholées, notes empyreumatiques, cuir, café. Vin très structuré à l’attaque souple et vineuse, jolie fraîcheur en bouche, tannins très présents, charpentés et fermes. Bon potentiel de garde.
Texte(s): Blaise Guignard
Photo(s): François Wavre/DR