du côté alémanique
Dans le Gürbetal, pays du chou, naissent les sarmas balkaniques

Entre Berne et Thoune, dans une vallée anciennement marécageuse, on cultive depuis plus de cent ans du chou destiné à la fabrication de choucroute. Un jeune paysan s’est essayé à des variétés de Serbie.

Dans le Gürbetal, pays du chou, naissent les sarmas balkaniques

C’est l’écrivain bernois Jeremias Gott­helf, qui, en 1844, fut le premier à mentionner le Gürbetal comme étant le «pays du chou». Dans cette vallée du canton de Berne historiquement très pauvre, les paysans se sont en effet spécialisés dans la culture du chou, grâce aux travaux de correction des eaux de la Gürbe en 1836, approvisionnant ainsi la ville de Berne et ses faubourgs. «Le chou est inscrit dans notre patrimoine culturel et économique», relève Regula Trachsel, caissière de la coopérative des producteurs du Gürbetal (voir l’encadré ci-dessous). Et quand, encore aujourd’hui, on remonte le cours de la Gürbe de Belp en direction de Thoune, le paysage en mosaïque, alternance de parcelles bleues à violettes, de pâturages et de champs de maïs, nous convainc aisément que le chou occupe une place à part entière dans l’économie agricole locale.

Une culture très sensible

Pour Adrian Hänni, jeune agriculteur qui exploite avec son frère un domaine de 26 hectares à Gelterfingen (BE), la production de choux, si elle ne concerne que 4,7 hectares, représente près de la moitié du chiffre d’affaires de l’exploitation, qui s’appuie également sur la production laitière de 55 vaches. «Le chou rythme notre quotidien, de mars à décembre», explique le trentenaire, qui met en place quatre séries de légumes de la mi-avril à la fin-juin, de façon à étaler les récoltes de juillet à décembre. Rares sont les cultures aussi exigeantes que cette brassicacée, sensible aux mauvaises herbes et à d’innombrables ravageurs – altise, piéride, noctuelle, etc. – ainsi qu’à des maladies comme la hernie du chou. «Il faut une préparation du sol extrêmement fine, explique Adrian, qui pratique des rotations sur quatre ans. Mais nos sols alcalins, qu’ils soient noirs et tourbeux, argileux, ou plus légers sur les coteaux, se prêtent bien à cette culture.» Quant aux rendements – 70 tonnes/hectare pour le chou rouge et 90 pour le chou blanc –, ils n’ont rien à envier à ceux du Seeland, autre grande région productrice de chou en Suisse.

Un petit goût de Serbie

Lorsqu’ils reprennent le domaine familial, les frères Hänni décident de professionnaliser cette production maraîchère. «Pour les exploitants du Gürbetal, la culture du chou est une activité annexe en termes économiques, mais extrêmement gourmande en temps et en main-d’œuvre.» La récolte se fait ainsi pour beaucoup à la main. Adrian et son frère décident donc d’augmenter les surfaces et surtout s’essaient à de nouvelles variétés de chou blanc et rouge, élargissant ainsi la période de récolte et les possibilités commerciales. «Un jour, un des nos clients d’origine serbe est arrivé avec des semences de son pays, nous demandant d’en cultiver pour lui et sa famille.» Dans les Balkans, le chou est un légume très populaire, apprécié notamment pour la fabrication des sarmas (choux farcis). La tentative des frères Hänni est couronnée de succès, et, bouche à oreille aidant, les surfaces de choux à sarmas prennent aussitôt l’ascenseur. «De quelques tonnes commercialisées en direct sur l’exploitation, nous en produisons désormais une cinquantaine, destinées pour la majorité à des restaurants turcs et balkaniques de la région.» Si la production de choux blancs part à la choucrouterie coopérative voisine, le reste de leurs choux rouges et pointus est valorisé via la vente directe ou part sur les marchés. Pionniers en la matière, les frères Hänni ne comptent pas s’arrêter en si bon chemin: «Notre prochain défi est la construction d’une machine de récolte dévolue aux choux à sarmas. Les feuilles sont roulées sur elles-mêmes, rendant les têtes particulièrement délicates!» De quoi pouvoir professionnaliser encore un peu plus la culture de choux des Balkans dans le Gürbetal!

Texte(s): Claire Muller
Photo(s): Claire Muller

Bon à savoir

Voilà plus de cent ans que les paysans du Gürbetal travaillent ensemble afin de transformer en choucroute leur production. Leur coopérative, qui ne compte désormais plus qu’une vingtaine de membres cultivant en moyenne 1,5 hectare de chou chacun, est cependant toujours bien active. «De juillet à novembre, notre installation hache 1750 tonnes de chou blanc, dont 250 tonnes en bio», explique Regula Trachsel, paysanne et caissière de la coopérative. En 2007, l’activité a été rachetée par l’entreprise Schöni basée à Oberbipp (BE) et spécialisée dans la fabrication de choucroute, mais la gestion de la fabrique reste aux mains des paysans. «Chaque semaine, nos membres annoncent combien de tonnes ils pensent livrer et nous organisons le travail en fonction.» Lorsqu’un producteur livre 5 tonnes de chou, il doit fournir deux personnes pour aider à la transformation. Les choux une fois évidés sont hachés, salés et envoyés à l’étage inférieur, où ils sont répartis dans une cinquantaine de cellules d’une capacité de 12 à 18 tonnes. C’est là, en anaérobie, qu’ils se transformeront en choucroute. De septembre à avril, les coopérateurs se relaient pour vider à la fourche les cellules et envoyer leur précieux contenu à Oberbipp, où la choucroute sera éventuellement cuite avant d’être emballée et expédiée aux quatre coins du pays.

+ d’infos www.thurnen-sauerkraut.ch, http://schoeni-swissfresh.ch

En chiffres

  • 26 hectares de surface agricole utile à 550 mètres d’altitude.
  • 55 vaches laitières et une cinquantaine de veaux à l’engrais.
  • 4,7 hectares de chou, soit 400 tonnes de production annuelle.
  • Une quinzaine de variétés de chou blanc et rouge, dont une d’origine balkanique destinée à la fabrication des sarmas.
    + d’infos www.burebeck.ch