Reportage
Dans la plaine, les bisons ont remplacé les vaches

Durant tout l’été, nous vous emmenons à la découverte d’exploitations agricoles hors du commun. Cette semaine, le premier élevage de bisons du pays, créé il y a trente ans à Collex-Bossy (GE).

Dans la plaine, les bisons ont remplacé les vaches

Quand on arrive sur le domaine de Laurent Girardet, on ne peut qu’admirer l’espace qui s’offre à nous: entre le Jura français et l’autoroute, à quelques kilomètres à peine de l’aéroport de Genève, s’étend une vaste plaine verdoyante. Ici, l’herbe tendre a remplacé les cultures céréalières. Et des bisons ont pris la place des vaches laitières il y a tout juste trente ans.

On se trouve chez un véritable pionnier, le premier agriculteur du pays à s’être lancé dans l’élevage de cet animal emblématique, de wapitis aussi qui partagent les terres du domaine avec une soixantaine de chevaux en pension. Mais aucun n’arrive à la cheville des bisons américains, que l’éleveur genevois admire tant: «J’aurais pu continuer la production de lait comme mes parents, mais je n’étais pas assez passionné pour le faire. Depuis que j’ai réalisé mon rêve, je me lève chaque matin avec autant de plaisir qu’au début de cette activité. C’est génial!»

Une tournée américaine
Sa passion se découvre à l’arrière d’un hangar. Laurent Girardet y a aménagé une réplique d’un saloon digne du Midwest, avec une vue imprenable sur les chevaux, un tipi et même un totem. Le dépaysement y est total. «J’ai voulu créer un endroit où on se sent bien, explique celui qui a ramené de nombreuses pièces de décoration de ses voyages en Amérique du Nord. Sur l’exploitation, il n’y a pas la place pour la compétition, pour les déguisements de cow-boy non plus. On est là pour le loisir.»

Le Genevois ne s’était jamais imaginé élever des bisons. Cette folle idée est née en 1976, lors d’un séjour de six mois dans l’immensité de l’Ouest canadien. Une aventure mémorable. De retour au pays, il continue à se documenter sur ces animaux, qui ne sont à l’époque pas encore gardés pour leur viande en Europe, ni même aux États-Unis. «J’ai réellement voulu créer un élevage en 1989 après avoir lu un reportage sur le sujet. J’ai tout de suite acheté un billet d’avion pour aller composer mon futur troupeau sur place.» Durant trois semaines, Laurent Girardet parcourt les ve

ntes aux enchères, se rend dans des ranchs et devient même membre de l’Association américaine des éleveurs de bisons. «Cet élevage n’en était qu’à ses débuts, poursuit-il. Le bison des plaines a presque été exterminé au XIXe siècle, seuls quelques individus avaient trouvé refuge dans les badlands, ces terres arides non cultivées. C’est là que les créateurs des parcs nationaux ont pu en capturer pour sauver l’espèce.»

À cette époque aussi, le richissime homme d’affaires Ted Turner, ex-mari de l’actrice Jane Fonda et créateur de la chaîne de télé CNN, décid

e de se lancer dans leur élevage. «Tout à coup, ils sont devenus très prisés», se souvient Laurent Girardet. Fin connaisseur de l’espèce, il parvient alors à importer quelques jeunes reproducteurs en Suisse, avec le statut d’animaux sauvages, ce qui a facilité les démarches auprès des services vétérinaires. «Faire venir aujourd’hui des bisons serait compliqué, voire impossible. On a eu de la chance», admet-il.

Une force de la nature
Pendant trois ans, cependant, il élève ses premières bêtes sans pouvoir les commercialiser. Il attendra que des veaux naissent pour que son projet prenne réellement forme. «On a d’abord commercialisé notre viande durant quatre ans en vente directe, poursuit-il. On n’a jamais fait de publicité; les bisons ont un pouvoir d’attraction impressionnant. Dès le début, les gens ont défilé pour les admirer. Ils ont ensuite souvent envie d’y goûter.»

Aujourd’hui, Laurent Girardet consacre une soixantaine d’hectares  à ses bisons. «Plus ils ont d’espace, mieux c’est! explique-t-il. Cet animal est grégaire, il ne se sent bien que s’il vit dans un groupe d’au minimum dix individus. Il faut que les troupeaux ne se voient pas, sinon ils vont tout faire pour essayer de se rassembler. Ils ont une force impressionnante et sont plus rapides que des chevaux au galop!»

Ils restent sauvages
Robustes, les bisons résistent aux fortes chaleurs, mais aussi au froid extrême, préférant affronter les éléments – et les dangers – de face. «Ils doivent toujours avoir suffisamment à manger et à boire. Si cela venait à manquer, aucune barrière, même haute de deux mètres et électrifiée, ne leur résisterait», confie le Genevois, qui précise que, sous leur cuir épais, ce sont des bêtes très sensibles. «Lors du sevrage, en décembre ou en janvier, les veaux peuvent faire des crises cardiaques. Il faut savoir rester calme en toute circonstance.»

Au fond de chaque parc se trouve un corral. Ces enclos permettent à l’éleveur de s’approcher de ces animaux sauvages — qu’il ne manipule et ne caresse jamais— et de les tirer le moment venu. Par sécurité, il se rend toujours dans les enclos en pick-up ou en tracteur, souvent accompagné par des agriculteurs souhaitant se lancer dans l’aventure. «Peu y parviennent. Créer un tel élevage demande beaucoup d’espace et de solides connaissances», conclut Laurent Girardet, savourant chaque instant la réussite de son rêve américain.

Texte(s): Céline Duruz
Photo(s): Nicolas Righetti/ Lundi 13

En chiffres

Le domaine en bref

  • 1990: importation des premiers bisons américains en Suisse.
  • 90 hectares dont 60 leur sont réservés.
  • 130 bisons vivent actuellement à Collex-Bossy, dont trois mâles reproducteurs.
  • 38 wapitis y sont aussi élevés.
  • 60 chevaux, en pension, complètent le domaine.

Dun bout à l’autre du pays

Depuis la première importation de bisons américains en 1990, les élevages se sont multipliés en Suisse. «Il y en existe plus d’une douzaine dans le pays», relève Laurent Girardet. En Suisse romande, l’imposant bovin s’est fait une place à Avenches (VD) et aux Prés-d’Orvin (BE) notamment. Ceux hébergés dans la forêt de Suchy (VD), en revanche, ne sont pas de la même espèce. Il s’agit de bisons européens, menacés d’extinction. Ils font partie d’un vaste projet de préservation de cet animal et ne sont donc pas élevés pour leur viande.