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Culture millénaire oubliée, le lin refleurit dans nos campagnes

À Genève, Hansruedi Roder produit avec deux associés de la région ce précieux oléagineux vendu en graines ou transformé en huile. Une filière relativement confidentielle, mais qui connaît un succès grandissant.

Culture millénaire oubliée, le lin refleurit dans nos campagnes

À Collex-Bossy, dans la campagne genevoise, une parcelle bleu pastel contraste avec le vert des champs environnants. En ce début de mois de juin, le lin de Hansruedi Roder est en pleine floraison. Un spectacle qui dure entre deux et trois semaines et dont il ne se lasse pas, année après année. «C’est une culture très jolie à faire, car la floraison est magnifique», dit-il en parcourant son champ du regard. «Chaque tige est constituée de plusieurs boutons qui fleurissent les uns après les autres, par étapes. Les fleurs écloses le matin tombent le soir même et cèdent leur place le lendemain à d’autres qui faneront à leur tour en fin de journée. L’opération se répète ainsi jusqu’à ce que la totalité des boutons soit éclose», explique le producteur de 59 ans. À l’emplacement de chaque fleur se cache une petite capsule renfermant cinq à six graines. Le battage intervient après huit à dix semaines de séchage sur pied. Une partie des graines ainsi obtenues seront conditionnées en sachets pour être consommées telles quelles et le reste servira à produire une huile très riche en oméga-3.

Petite graine au grand potentiel

Avec deux autres exploitants de la région, le paysan de Collex-Bossy cultive ces précieux oléagineux depuis une quinzaine d’années. «Au début des années 2000, je souhaitais diversifier mon activité après avoir arrêté les vaches laitières. À l’époque, je faisais des céréales, du maïs et du colza et recherchais quelque chose à valoriser directement sur mon domaine.» Le Genevois tombe alors sur un article de la Revue suisse d’Agriculture mentionnant les débouchés prometteurs des oléagineux. Dans la région, deux collègues s’y intéressent aussi. Les trois hommes décident d’unir leurs forces et créent leur société, qu’ils baptisent Carthagène. «L’un de mes collègues est basé à Jussy, l’autre à Meyrin. Notre répartition géographique entre rive droite et rive gauche permet de limiter les risques en cas de problèmes et surtout de couvrir le territoire pour optimiser la distribution. Nous avons commencé avec le tournesol, le colza et le lin. Puis nous nous sommes lancés dans la culture du carthame, des noisettes, des noix et des courges à huile, afin de proposer une palette complète», relate-t-il. Après une première récolte pressée au Moulin de Sévery, dans le canton de Vaud, les trois associés investissent chacun dans l’acquisition de pressoirs individuels.

Ils commencent par vendre leur production sur leurs domaines respectifs et auprès de petits magasins alentour, puis se font approcher par la grande distribution. «Après quelques années, Migros Genève nous a également proposé d’élargir notre gamme aux lentilles et aux pois chiches. Cette diversification nous permet d’assurer une bonne rotation. D’autant que cette linacée ne faisant partie d’aucune autre famille culturale produite sur nos parcelles, elle coupe bien le cycle des maladies et ravageurs que l’on peut trouver notamment dans le colza et les céréales», note l’agriculteur.

Peu de soins nécessaires

Le choix de semer du lin de printemps ou d’automne est déterminé par les conditions météorologiques. «Celui de printemps offre un cycle court, puisqu’il est semé en mars et récolté fin août. Le lin d’automne mûrit plus tôt et bénéficie d’un rendement très régulier. En semant 50 à 60 kilos de semences, on obtient 2000 kilos en moyenne à l’hectare», détaille Hansruedi Roder. La plante étant peu sujette aux pathogènes, sa culture nécessite un minimum de soins. «Ceux-ci se limitent à un désherbage après les semis et un peu d’engrais. C’est une plante qui a été très peu sélectionnée et qui est donc assez rustique.» Carthagène produit chaque année entre 6 et 8 tonnes de graines sur les 3-4 hectares cultivés au total par les trois domaines.

Une filière qui connaît un succès grandissant, à en croire l’oléiculteur. «Notre huile comme nos graines sont de plus en plus appréciées, du fait de leurs propriétés très intéressantes du point de vue nutritionnel (voir encadré ci-dessous).» Une réussite qui tient aussi à leur réactivité. «Nous travaillons à flux tendu, car, une fois extraite à froid, l’huile ne se conserve guère plus de six mois. Notre petite structure nous permet donc de nous adapter à la demande.» Le pressage intervient sitôt la commande passée; une dizaine de jours sont ensuite nécessaires pour décanter l’huile. «Ensuite, on filtre, on met en bouteille et on livre. Il se passe donc deux semaines à peine entre la commande et la remise de la marchandise. C’est ce qui fait la force de ce produit de niche et de proximité par rapport à la concurrence étrangère.»

Texte(s): Aurélie Jaquet
Photo(s): Aurélie Jaquet

Le lin de Carthagène

2006: création de la société Carthagène, spécialisée dans la production d’huiles et d’oléagineux, par Hansruedi Roder, Denis Pinget et Patrick Abbé.

17 hectares de cultures d’oléagineux et de légumineuses (lin, tournesol, carthame, pois chiches, lentilles…).

4 hectares de prairies extensives accueillant des équidés à la retraite.

3 hectares de location de parcs pour chevaux.

Une plante aux multiples vertus

Son nom latin, Linum usitatissimum, qui signifie «lin très utile», témoigne des nombreux usages de cette plante, dont la culture remonterait à 3000 ans av. J.-C. dans la vallée du Nil. Certaines variétés sont privilégiées pour leurs fibres, utilisées dans la confection textile, d’autres pour leurs graines, consommées telles quelles ou pour en extraire une précieuse huile. En Suisse, sa culture a atteint son apogée dans les années 1940, avant de progressivement céder la place à d’autres plantes oléagineuses, notamment le colza. «Depuis 2004, elle est soutenue en Suisse par le biais de contributions pour les oléagineux. Peu exigeante en nutriments, la plante se prête bien à la culture extensive», explique la station de recherche Agroscope. Aliment santé par excellence, l’huile de lin est la plus riche de toutes en oméga-3. Elle en contient plus de 50%, soit près de cinq fois plus que le colza. Une forte teneur qui lui vaut aussi sa durée de conservation très courte, car ces acides gras polyinsaturés, en captant l’oxygène, accélèrent son oxydation. Cette huile doit donc être dégustée exclusivement crue (la chauffer la rend néfaste pour la santé) et consommée dans les six mois après son extraction. Pour freiner son altération, il est conseillé d’opter pour des petites bouteilles, de les conserver à l’abri de la lumière et si possible au frigo.