Décryptage
Couverture, rotation et non-labour, les clés de la conservation des sols

Souvent réduite au seul semis direct, l’agriculture de conservation englobe toutes les pratiques permettant d’améliorer la fertilité des sols. L’agronome Nicolas Courtois propose quelques pistes pour se lancer.

Couverture, rotation et non-labour, les clés de la conservation des sols

Comment améliorer la fertilité de ses sols tout en piégeant du carbone? Comment les protéger de l’érosion et participer à la lutte contre le réchauffement climatique? En pratiquant l’agriculture de conservation, bien sûr! Définie officiellement pour la première fois en 2001 par l’Organisation des Nations Unies pour l’alimentation et l’agriculture (FAO, voir encadré), cette notion perce petit à petit dans les campagnes suisses. «Mais on l’assimile trop souvent à la technique du semis direct, c’est-à-dire à l’absence totale de travail du sol. À tort!» précise d’emblée Nicolas Courtois, conseiller agricole spécialiste de la question, collaborateur d’Agrigenève depuis une dizaine d’années.

Loin de se limiter aux seuls choix techniques de semis, l’agriculture de conservation vise plus globalement à améliorer la fertilité des substrats. «Il s’agit de combiner la réduction du travail du sol avec une saine rotation culturale et la mise en place de couverts végétaux, synthétise l’agronome genevois. Ce qui importe, c’est de relancer la vie biologique de ses terres.»

Une rotation alternée
«Repenser sa rotation culturale est la première chose à faire quand on veut se lancer dans l’agriculture de conservation», développe-t-il. On peut ainsi commencer par revoir la place du colza dans les cycles culturaux: cette crucifère préférera succéder au blé plutôt qu’à l’orge, qui laisse trop de paille et de carbone sur le champ. «Qui dit résidus de culture dit difficultés à semer. Or, en agriculture de conservation, on est dans une logique de diminution du travail du sol. Donc autant se faciliter la tâche, et accessoirement éviter une potentielle invasion de limaces.»

Sans pour autant bouleverser en profondeur sa stratégie d’exploitation, on peut encore choisir de ne semer des céréales d’automne qu’une année sur deux. «Nous recommandons aux producteurs d’alterner le blé, l’orge ou le triticale avec une dicotylédone de printemps, que ce soit du soja, du pois ou du tournesol, par exemple.» Une pratique qui peut sembler anodine de prime abord, mais qui perturbera immédiatement les cycles naturels des adventices. «Nombre de producteurs font face à des problématiques récurrentes de graminées invasives. En alternant les types de cultures, on assainit progressivement le stock grainier des indésirables.»

La couverture permanente est l’un des piliers de l’agriculture de conservation. Rien de tel pour remonter rapidement les taux de matière organique dans les sols et pour y maintenir une bonne structure! Mais la mise en place d’un couvert végétal efficace post-moisson est un art qui demande à être bien maîtrisé. «La règle No1, c’est de le semer le plus tôt possible, pour gagner la course contre les adventices», insiste Nicolas Courtois, qui étudie depuis dix ans l’efficacité d’une multitude de mélanges, gélifs et non gélifs. «L’autre point crucial, c’est de complexifier le mélange de plantes dans les couverts», poursuit l’expert. Un couvert de 10 variétés produira ainsi 8 à 10 tonnes de matière sèche, contre seulement 2 tonnes pour une simple phacélie.

Maximiser la couverture végétale
D’autres techniques font petit à petit leur apparition, comme la culture simultanée de colza en association avec d’autres plantes, dites compagnes. «Gélives (niger, vesce, gesse, fenugrec, sarrasin, lentilles…) ou non (trèfle, lotier ou luzerne), elles feront concurrence aux adventices à la levée, perturberont les vols d’insectes ravageurs comme l’altise et le charançon à l’automne et apporteront de l’azote et de la matière organique au sol, grâce à la décomposition de leurs feuillages et racines.»

Dernier principe: diminuer le plus possible les interventions mécaniques dans les
parcelles. «Le travail du sol libère immédiatement du CO2 dans l’atmosphère et met en danger la matière organique, résume Nicolas Courtois. Or c’est elle qui permet de structurer la terre. Il faut donc à tout prix la préserver.» On cherche donc le meilleur compromis pour le travailler sans trop le brasser. «Le semis direct est approprié sur des terrains légers, où le taux de matière organique est déjà élevé. Mais il faut adapter ses pratiques», souligne encore l’agronome. Ainsi, dans les terres lourdes, riches en argile, le fissurateur s’avère la solution idéale, puisqu’il les décompacte et fait de la place aux racines.

+ D’infos Réussir son passage à l’agriculture de conservation et piéger du carbone: cours donné le 28.01.2021 par Nicolas Courtois – www.prometerre.ch/formationswww.no-till.chwww.agriculture-de-conservation.com

Texte(s): Claire Muller
Photo(s): Claire Muller

Genève pionnière

Définie par la FAO comme un système cultural propre à empêcher la perte de terres arables tout en régénérant les sols dégradés, l’agriculture de conservation a particulièrement essaimé parmi les agriculteurs genevois. «Ils ont arrêté de labourer dans les années 2000, d’abord pour des raisons organisationnelles et économiques, raconte Nicolas Courtois. La disparition de l’élevage sur le canton a ensuite amené les producteurs à se pencher sur les couverts végétaux. Et désormais, on estime qu’un sixième de la SAU genevoise, soit 1000 hectares, est cultivé en semis direct.»

Questions à...

Pascal Boivin, docteur en sciences du sol à l’HEPIA, à Genève.

En quoi l’agriculture de conservation permet-elle un piégeage efficace du carbone dans les sols?
Le carbone organique est le principal constituant des matières organiques du sol. Il y a ainsi deux fois plus de carbone dans l’humus que dans l’atmosphère! Or, en cherchant à maximiser le couvert végétal, à le rendre aussi permanent que possible et à renoncer au labour, l’agriculture de conservation permet d’augmenter la quantité d’humus. Sur l’arc lémanique, un tiers des surfaces en grandes cultures pratiquent actuellement ce modèle et affichent des taux de séquestration du carbone supérieurs à 15 pour mille.

À quand une rémunération des paysans qui ont adopté des pratiques permettant de piéger le carbone?
Techniquement, tout est prêt. Nous sommes en train de mettre au point une méthode d’échantillonnage des sols agricoles indiquant leur stock effectif de carbone, plutôt que de simples teneurs. Mais il manque encore malheureusement une volonté politique et financière claire pour susciter un changement dans les réglementations.