Société
Composter les morts, une pratique qui commence à faire des adeptes

Promue depuis peu par une association romande, l’humusation vise à transformer les défunts en terreau fertile. Pour l’heure interdit dans le pays, ce mode de sépulture durable attire l’attention de certains cantons.

Composter les morts, une pratique qui commence à faire des adeptes

Un lit végétal de vingt centimètres d’épaisseur, un linceul biodégradable et une butte de deux mètres cubes de bois finement broyé, recouverte entre autres de paille et de feuilles mortes. Voici à quoi ressemble la tombe idéale des partisans de l’humusation, un mode de sépulture naturel visant à transformer le corps humain en humus grâce aux micro-organismes présents dans le sol. Depuis 2014, cette pratique est défendue par la fondation belge Métamorphose pour mourir… puis donner la vie, dont une branche romande a récemment été créée. À sa tête, Sarah Joliat, directrice des Pompes funèbres du Léman, à Vevey (VD).

«Au début, je trouvais ça farfelu, mais en fait, c’est une manière douce et respectueuse de retourner à la terre, qui permet de se réconcilier avec la mort», assure-t-elle. Au bout de douze mois – une fois les os et les dents réduits en poudre ainsi que les éventuelles prothèses métalliques retirées –, on obtient avec cette méthode 1,5 mètre cube de compost riche et fertile, soit assez pour planter une centaine d’arbres, explique-t-elle. «Les proches pourraient aussi en récupérer une partie afin de créer une forêt du souvenir où venir se recueillir. C’est un magnifique symbole.»

 

Les incinérations polluent

Alors que la crémation est l’option choisie par près de neuf Suisses sur dix, l’humusation vise à offrir une alternative durable à cette technique polluante et gourmande en énergie. «Pour incinérer un corps, il faut le chauffer à 1000 degrés durant plus d’une heure, ce qui consomme environ 200 litres d’équivalent mazout par personne. De plus, il y a des rejets toxiques dans l’atmosphère et lors de la dispersion des cendres. C’est un non-sens de créer des déchets avec ce qui pourrait être des ressources, expose Sarah Joliat. Si on veut changer notre manière de vivre, il faut changer notre manière de mourir.» Quant à l’inhumation, les matériaux non biodégradables avec lesquels sont fabriqués les cercueils, et les produits chimiques utilisés pour l’embaumement ont un lourd coût environnemental, polluant les sols des cimetières helvétiques.

Pour Vincent Varlet, responsable de l’unité de taphonomie forensique au Centre universitaire romand de médecine légale, spécialisé dans la décomposition des corps, l’humusation est également une réponse au manque de place dans ces espaces. «Aujourd’hui, les dépouilles prennent plusieurs dizaines d’années à se désagréger en raison de l’humidité des sols dans les régions lacustres et de l’appauvrissement général de l’écologie souterraine. Cela pose problème lorsqu’il faut exhumer certains cadavres pour faire de la place aux nouveaux venus.» Au contraire, l’humusation est un processus rapide qui respecte le corps du défunt, avance Sarah Joliat. «La nature fait son travail à son rythme, ce qui peut faciliter le deuil de certaines personnes. De plus, cela coûte moins cher qu’une sépulture classique, où il faut généralement payer le prix du cercueil et les frais de concession.»

 

Manque d’études scientifiques

Si un processus similaire existe dans l’État de Washington, aux États-Unis, cette pratique n’est pour l’heure pas autorisée en Suisse ni dans le reste de l’Europe. Toutefois, elle attire l’attention de plusieurs communes et cantons, comme la Ville de Genève, où une motion demandant d’étudier sa mise en place a été transmise à la Commission de la cohésion sociale. Du côté du canton de Vaud, le Gouvernement élabore actuellement une réponse à une interpellation du Grand Conseil. «Nous sommes conscients de l’intérêt de la population, mais c’est un procédé plus complexe qu’il n’y paraît, notamment en cas de déprédations par la faune. Les questions très sensibles qu’elle soulève ne peuvent pas être tranchées dans la précipitation», déclare le Département de la santé et de l’action sociale.

Selon Vincent Varlet, les lois cantonales ont des chances d’évoluer, à condition d’offrir des garanties objectives aux décideurs politiques. «Actuellement, il n’existe aucune étude scientifique sur la faisabilité de ce procédé. Davantage de moyens doivent être alloués. À terme, cela devra s’accompagner d’une formation spécifique des professionnels du domaine, ainsi que de réglementations claires. Ce service ne doit pas tomber dans des mains mercantiles, mais être placé sous la responsabilité d’une structure publique», estime-t-il.

Sarah Joliat, elle, compte sur l’association pour populariser cette méthode et faire évoluer les mentalités. «J’ai aussi prévu de me rendre dans les paroisses pour en discuter avec les prêtres, raconte-t-elle. C’est un processus lent, mais qui aboutira, je l’espère, d’ici à dix ans.» Un point de vue partagé par Dominique Corminboeuf, retraité de 64 ans: «Quand j’ai entendu parler de ce mode de sépulture, ça a fait tilt. L’idée d’offrir du positif à la nature en me métamorphosant en compost m’apaise, témoigne cet ex-député au Grand Conseil fribourgeois et passionné de jardinage. J’espère encore vivre assez longtemps pour pouvoir retourner à la terre de cette belle manière.»

Texte(s): Lila Erard
Photo(s): Mathieu Rod

Écofunérailles

En Suisse, des services d’obsèques écologiques sont proposés par certaines entreprises de pompes funèbres, comme Accompagnement Comte, à Bassecourt (JU). À partir de 2012, des cercueils en bois, sans colle ni laque et avec intérieur en coton naturel, ainsi que des urnes biodégradables en papier mâché, avec pousse d’arbre intégrée, y sont vendus. «Au début, des familles venaient de Genève pour s’en procurer. Ces produits connaissent un succès grandissant depuis quelques années. Ce type de cercueils représente près de 70% des ventes» détaille le croque-mort David Comte.

Questions à Alix Noble Burnand, thanatologue, fondatrice de l’association Deuil’s

En Suisse, la grande majorité des défunts se fait incinérer. En quoi l’humusation tranche-t-elle avec cette pratique?

Il est vrai que les crémations sont la norme depuis les années 1990,
dans une époque marquée par un certain déni du corps et une volonté de l’éliminer au plus vite, et ce malgré l’absence de rites culturels et religieux associés à cette pratique en Suisse. Aujourd’hui, on assiste à une démarche opposée, qui s’inscrit dans le courant de l’écologie et du refus de la pollution. Ainsi, la mort devient cohérente avec les valeurs de développement durable.

Cela va-t-il se populariser selon vous?

Tout dépendra de l’évolution des lois et des études effectuées sur le sujet. Si la vague verte perdure, de nombreux écologistes vont probablement s’y intéresser et démocratiser ce type de sépulture naturelle. Cela peut engendrer une nouvelle mode dans le monde funéraire.

L’humusation se heurte-t-elle tout de même à des barrières psychologiques?

Oui, la mort reste un grand tabou, et particulièrement les cadavres. Cela ne facilite pas les discussions. De plus, il existe en Europe un imaginaire macabre puissant autour de la pourriture des corps, ce qui entretient des peurs autour de l’humusation.

+d’infos www.deuils.org