NATURE
«En s’adaptant au climat, nos forêts vont peu à peu changer de visage»

Les forêts ont souffert de l’été caniculaire. Or avec le réchauffement climatique, ces conditions extrêmes sont appelées à devenir plus fréquentes. Des composantes dont les sylviculteurs doivent désormais tenir compte.

«En s’adaptant au climat, nos forêts vont peu à peu changer de visage»

Les forêts se sont parées de teintes rougeoyantes. Déjà les feuilles mortes jonchent le sol des sous-bois. Et pourtant l’automne n’est pas encore à notre porte. La faute à la canicule… Les arbres ont en effet subi un stress hydrique: sous l’effet de la chaleur et du manque d’eau, ils tendent à s’économiser, à arrêter de croître et à perdre leur feuillage. Ce n’est cependant qu’une faiblesse temporaire, le taux de mortalité étant demeuré faible. Il n’empêche, le phénomène pourrait se répéter de plus en plus fréquemment. «C’est difficile à prédire. Ces épisodes extrêmes ne se produisent pas chaque année. Mais d’ici à la fin du siècle, ils pourraient devenir la norme», explique Peter Brang, chef du programme de recherche sur la forêt et les changements climatiques, lancé en 2009 par le WSL, l’Institut fédéral de recherches sur la forêt, la neige et le paysage, en collaboration avec l’Office fédéral de l’environnement.

Les arbres réagissent

Certaines essences souffrent davantage de ces épisodes caniculaires, à l’image de l’épicéa. L’affaiblissement dû au stress hydrique a tendance à se combiner avec les agressions des bostryches, qui profitent des conditions météo clémentes pour proliférer. «On constate des attaques depuis le début août», note Pascal Junod. Pour cet ingénieur forestier de l’arrondissement de Boudry (NE), responsable du Centre de compétence en sylviculture, à Lyss (BE), l’épicéa va désormais se développer à plus haute altitude. Le hêtre est lui aussi sensible à la sécheresse. Selon les deux spécialistes, il devrait se faire plus rare sur le Plateau et l’arc jurassien. Il ne va pas disparaître, mais connaître davantage de difficulté à pousser, restant plutôt dans les strates inférieures des forêts. Sa présence sera par contre plus marquée en montagne.

D’autres essences résistent mieux. Les chênes, par exemple. Les trois variétés présentes en Suisse tolèrent bien les conditions climatiques plus arides. C’est également le cas du cerisier, du tilleul ou du sapin blanc. Le pin Douglas, espèce exotique, est apprécié pour son potentiel à supporter la sécheresse et à avoir une importante production. Le noyer, souvent planté par des agriculteurs, a tendance à se propager et est capable d’une forte régénération. «On observe d’ailleurs qu’il y a beaucoup de jeunes arbres de cette essence», précise Peter Brang.

La forêt s’adapte

Dans tous les cas, on ne peut pas tirer de généralités. «Le sol aussi est important», souligne le spécialiste du WSL. Son épaisseur, sa capacité de stocker l’eau, sa qualité sont autant de facteurs déterminants pour le développement de certaines essences. Une tendance se dessine néanmoins. En plaine, les résineux vont se faire moins nombreux, au contraire des feuillus. «La forêt est un milieu vivant et dynamique, elle a une grande faculté d’adaptation et de résilience, remarque Pascal Junod. Des années comme celle-ci sont synonymes de forte sélection naturelle, elles révèlent les arbres les plus vigoureux et font dépérir les plus faibles.» Les mélanges d’espèces sont donc appelés à évoluer naturellement. L’ingénieur évoque néanmoins une crainte: la vitesse avec laquelle se répètent ces perturbations peut mettre à mal la capacité de la forêt de se régénérer. «Dès la seconde moitié de ce siècle, on devra s’attendre à des situations où, localement, certaines espèces ou stations seront touchées par une mortalité marquée après une canicule», indique Peter Brang.

La prise de conscience a eu lieu

«Toute une série de publications et des cours en sylviculture prennent en compte la transformation lente des forêts», selon le chef de programme du WSL. Pascal Junod confirme: depuis les années 1990, cinq mesures en particulier sont préconisées pour rendre les forêts plus adaptatives. Il s’agit notamment de favoriser le mélange d’espèces en stations, c’est-à-dire adaptées aux conditions locales (altitude, topographie, etc.), pour répartir les risques. Les forêts irrégulières ou étagées, avec des spécimens d’âges et de diamètres différents, sont également privilégiées. Dès lors, si de grands arbres cassent lors d’une tempête, par exemple, les petits assurent une continuité. Le rajeunissement naturel des forêts maintient une diversité génétique élevée. Les éclaircir donne des arbres individuellement plus résistants avec une grande couronne et un tronc plus large. Enfin, promouvoir un volume sur pied pas trop élevé, donc moins serré, diminue les pertes en cas de perturbation. «Il faut aussi faire confiance à notre écosystème, avance Pascal Junod. On ne maîtrise de loin pas tout…»

Texte(s): Isabelle Chapatte
Photo(s): Isabelle Chapatte

Les incendies en ligne de mire

Les risques d’incendie devraient s’accroître en Suisse avec le réchauffement climatique. Le bois sec et les feuilles qui tombent prématurément au sol y contribuent. Cependant, on ne constate pas d’augmentation des feux. Thomas Wohlgemuth, chef du groupe Dynamique forestière, Écologie des perturbations au WSL, estime que les stratégies mises en place compensent les risques. Le système de prévention permet d’interdire les feux en cas de sécheresse. Les services de pompiers jouissent d’une organisation performante et bénéficient d’une bonne desserte forestière pour d’éventuelles interventions. De plus, on observe qu’en plaine, la régénération naturelle des forêts favorise les feuillus. Or les résineux brûlent naturellement plus facilement, du fait de leur texture huileuse. Les études menées par le WSL à Loèche (VS), sur le site ravagé par les flammes en 2003, montrent que lors d’un incendie, les racines des arbres qui stabilisent le terrain sont détruites. Il faut compter trente à cinquante ans pour que la forêt puisse à nouveau assurer son rôle de protection.