décryptage
Chiens de protection: à la recherche de la génétique parfaite

Si les chiens de protection ont fait leurs preuves en matière de prévention des attaques de loup, leur génétique et leur éducation sont déterminantes afin d’assurer leur efficacité sur le terrain.

Chiens de protection: à la recherche de la génétique parfaite

Les chiens de protection sont un moyen efficace de limiter les pertes causées par les grands prédateurs. C’est ce que prouve le dernier rapport annuel d’Agridea: en 2018, un dixième seulement du nombre d’animaux de rente tués par un loup en Suisse l’ont été sur un alpage protégé par un ou plusieurs chiens. Oui, mais ces animaux de travail ont aussi leurs détracteurs, qui leur reprochent d’intimider ou de mordre les randonneurs.
Les autorités et les éleveurs planchent sur des pistes pour améliorer la situation et pérenniser ce mode de protection qui représente la meilleure alternative lorsque les clôtures électriques ne se prêtent pas à la situation – et c’est souvent le cas sur les alpages. «Je suis convaincu que l’on peut élever des chiens pour qu’ils soient à la fois efficaces et compatibles avec le tourisme alpin», assure Damien Jeannerat. Éleveur et propriétaire de la Bergerie de Naye, à Mollens (VS), il a choisi d’élever lui-même les chiens qui protégeront son troupeau chaque été sur les hauts de Derborence: à Noël, neuf chiots sont nés dans la paille de son étable.

Reconstruire une génétique
En cette belle journée de printemps, la dernière nichée sommeille ou s’amuse parmi les moutons paissant sur une grande parcelle perchée à flanc de coteau. Mais ces mignonnes boules de poil cachent bien leur jeu: lorsqu’un promeneur passe avec son chien à proximité de la clôture, elles foncent à leur rencontre en aboyant, s’interposant entre cette menace potentielle et le troupeau de brebis. «Un bon chien de protection doit être capable d’impressionner un loup ou un chien errant pour le dissuader d’approcher des moutons, tout en laissant les humains tranquilles», indique Damien Jeannerat. Pour y parvenir, c’est une question d’éducation, bien sûr, mais surtout d’instinct. «D’un point de vue comportemental, on attend d’un chien de protection qu’il ait une attitude de défense face à un canidé inconnu, explique Ueli Pfister, président de l’association Chiens de protection des troupeaux Suisse. C’est un instinct que l’on a plutôt cherché à éliminer chez les chiens de compagnie.»
D’où la volonté de recréer des lignées de chiens de travail. Deux races s’offrent au choix des éleveurs ovins: le montagne des Pyrénées et le pastore abruzzese. Damien Jeannerat a choisi le second. «Dans cette région montagneuse d’Italie, on l’élève depuis des siècles pour protéger les troupeaux. Privilégier son instinct plutôt que des critères esthétiques a permis de conserver de solides lignées de travail. Cette réflexion est nouvelle en Suisse. Mais nous devons aller dans cette direction.» Même son de cloche chez Ueli Pfister, qui se réjouit de voir des éleveurs s’investir dans cette démarche de longue haleine. «On a perdu le savoir-faire nécessaire au travail avec des chiens, ou on ne l’a jamais eu, constate-t-il. Nous devons réapprendre, recréer une population de chiens, augmenter la variabilité dans leur génétique.»

Une longue formation
Reste ensuite à éduquer les jeunes chiens, une tâche exigeante qui sera déterminante pour leur avenir sur les alpages: «Ils doivent être autonomes tout en ayant confiance en l’humain, résume Damien Jeannerat. Au contact des brebis dès leur naissance, ils ont grandi parmi elles, été familiarisés aux machines, aux bruits et aux enfants.» Le plus important, pour l’éleveur jurassien établi en Valais, c’est que les jeunes chiens traversent cette phase de socialisation sans subir de choc qui pourrait le rendre instable ou agressif, aussi bien vis-à-vis des moutons que des humains. Et dans quelques années, ceux qui auront montré les meilleures aptitudes seront désignés pour perpétuer la lignée naissante.
Demain, quelques-uns des chiots quitteront le reste de la fratrie pour être placés chez d’autres éleveurs auprès desquels ils parferont leur formation. Alicia, Angela et Aldo, eux, suivront les chiens plus âgés sur l’alpage de Damien Jeannerat. Pensif, il ébouriffe de la main le pelage fourni de l’un des chiots tandis que les autres trottent gaiement parmi les brebis. Il le sait, ces chiens incarnent les espoirs de toute la branche de l’élevage ovin. «S’ils permettent aux bergers de voir l’avenir plus sereinement, ce sera gagné!»

+ d’infos www.protectiondestroupeaux.ch

Texte(s): Clément Grandjean
Photo(s): Clément Grandjean