Du côté alémanique
Chez les Wirz, on distille en famille

À Reigoldswil (BL), Hansruedi Wirz distille des eaux-de-vie depuis vingt ans. Ce qui n’était d’abord qu’une tentative de diversification constitue aujourd’hui le pilier de l’exploitation. Visite d’un domaine où cerises, prunes et poires finissent en bouteille.

Chez les Wirz, on distille en famille

Cela fait vingt ans que les derniers porcs ont disparu de la ferme de la famille Wirz, à Reigoldswil. Aujourd’hui, la petite ferme nichée à flanc de colline, dans ce coin bucolique de la campagne bâloise, vit au rythme de ses trois alambics. «Lorsque j’ai repris le domaine, en 1992, j’ai voulu lui donner une nouvelle orientation, raconte Hansruedi Wirz, propriétaire des lieux. J’ai acheté un alambic.» Trois ans plus tard, l’exploitation achève sa mue: l’élevage porcin cède la place à une distillerie de campagne dont la production ne cesse de croître. Au point que, rapidement, un seul alambic ne suffit plus: «J’ai dû en trouver un deuxième, puis un troisième, se souvient-il. Enfin, en 2013, nous avons refait à neuf toutes les installations.»

Beaucoup ont cessé de distiller
Dans les fermes qui essaiment sur les collines verdoyantes du canton de Bâle-­Campagne, la distillation est une tradition ancestrale. Jusqu’à la fin du siècle dernier, chaque village, ou presque, avait sa propre distillerie où l’on venait avec sa récolte de fruits pour repartir avec son lot de bouteilles de schnaps. Mais tout a changé en 1999 avec la deuxième révision de la loi sur l’alcool. Ouverture du marché suisse et instauration d’un taux d’imposition unique provoquent l’importation massive d’alcool produit à l’étranger, forçant la plupart des petits distillateurs à mettre la clé sous la porte. Plutôt que d’y voir un handicap, Hansruedi Wirz trouve là une opportunité, tirant parti de la situation: c’est l’occasion pour lui de racheter à bas prix une bonne partie du matériel dont il a besoin pour transformer sa grange en distillerie. «Car c’est une diversification coûteuse, souligne-t-il. Cette activité ne peut se faire sans un important investissement financier, mais elle est aussi gourmande en place et en temps. Sans parler des concessions à obtenir de la Régie fédérale des alcools.» Il y en a deux: la première autorisation permet de distiller pour un usage commercial, la seconde de distiller à façon les fruits livrés par d’autres producteurs. Hansruedi Wirz a obtenu l’une et l’autre. Enfin, pour assurer sa réputation, le Bâlois a misé sur la qualité de ses produits. Au schnaps «qui secoue», tout juste bon à allonger un café, il préfère les eaux-de-vie mettant en valeur les arômes des fruits.

Des arbres sains
Les six hectares de vergers qui entourent l’exploitation familiale ne produisent pas que des fruits destinés à être distillés. Ceux de table, qui représentent chaque année la moitié de la récolte, sont livrés à un grand distributeur national et en vente directe à la ferme. Mais ils rapportent moins que ceux qui prennent le chemin des alambics. «Produire des fruits de table ou de distillation, ce n’est pas tout à fait pareil. D’abord, ce ne sont pas forcément les mêmes variétés, précise Hansruedi Wirz. Pour les cerises, par exemple, on différencie celles qui sont destinées à la consommation, plus grosses et plus fruitées, de celles qui seront distillées, petites et doucereuses. Ensuite, l’aspect des fruits est bien entendu moins important quand ils sont destinés à la production d’eau-de-vie.»
Pas question pour autant de relâcher ses efforts: pour faire un alcool de qualité, il faut des arbres sains. Car les fruits doivent rester longtemps sur la branche pour bénéficier d’un haut taux de sucre. Cerisiers, pruniers, poirier et pommiers s’étendent en lignes droites sur le flanc de la colline. Entre les arbres, une dizaine de moutons jouent les débroussailleuses. «Ce sont des
shropshires, explique Hansruedi Wirz. Ils sont aussi appréciés des producteurs de sapins de Noël, parce qu’ils ne s’attaquent pas aux branches.»

Ils font confiance à leurs sens
Dans quelques semaines, ce sera le moment pour l’arboriculteur de tailler ses arbres. Mais pour l’heure, la distillation occupe pleinement les Wirz. Dans l’ancienne grange rénovée, Beat,  le frère de Hansruedi ouvre la trappe ronde d’un alambic. Du tuyau qu’il y installe se déversent alors des litres de jus de cerise, qui a fermenté durant quatre semaines dans une grande cuve. Brassée par une hélice métallique, la masse d’un rouge profond chauffe peu à peu. Les 220 kg de fruits donneront quelque 35 litres de kirsch. Le tout est contrôlé par ordinateur. Il faut quatre heures pour que la vapeur chargée en alcool s’élève dans l’alambic et redescende, une fois refroidie, dans un autre tube. Hansruedi Wirz se penche alors pour recueillir une goutte du liquide transparent sur son doigt. La première partie du distillat est impropre à la consommation, la dernière n’est pas assez alcoolisée. Pour déterminer à quel moment commence à couler le meilleur schnaps, les frères Wirz se fient à leurs sens. Et cela leur réussit: qu’il s’agisse de vieille prune, de poire ou de kirsch, on ne compte plus leurs cuvées récompensées par des médailles dans les concours nationaux. Une satisfaction qui est aussi un bon moyen d’asseoir sa réputation dans un marché marqué par une concurrence féroce, et où l’innovation est une condition nécessaire à la survie.
Un bruit de moteur, puis une portière qui claque. Un agriculteur de la région vient confier trois pleines caisses de fruits à Hansruedi Wirz. La cour résonne des éclats de voix des deux hommes qui plaisantent quelques minutes. Pour le distillateur, il n’est pas question d’abandonner cette part de son métier: «Tout le monde peut nous apporter ses fruits, peu importe qu’il s’agisse de 25 kg ou de 3 tonnes. C’est un service que je tiens à offrir.» Être proche de ses clients, voilà peut-être la clé du succès de cette petite entreprise.

+ D’infos www.wirz-obstbau.ch

Texte(s): Clément Grandjean
Photo(s): Clément Grandjean

En chiffres

L’exploitation, c’est:
6 hectares de vergers.
4 personnes travaillent sur l’exploitation: Hansruedi, Danuta et Beat Wirz, ainsi qu’un employé à 30%.
3 alambics, deux de 300 litres et un de 100.
12 000 à 15 000 litres d’alcool distillés chaque année avec leurs propres fruits.
15 000 litres distillés à façon chaque année.

La concurrence fait rage sur le marché

Depuis la libéralisation du marché de l’alcool, les distillateurs suisses doivent rivaliser d’inventivité pour assurer leur avenir. Les principaux concurrents des eaux-de-vie indigènes s’appellent whisky, gin et vodka. Plus tendance, ils font passer le kirsch et la pomme pour des breuvages de grand-papa. Pour les distillateurs suisses, l’espoir passe notamment par le retour en force des produits du terroir et par un positionnement qui se rapproche du haut de gamme. Bouteilles et étiquettes design, propositions originales  et visites de distilleries sont autant de moyens d’attirer l’attention de la clientèle.
Quant aux distinctions remises notamment par DistiSuisse, elles sont l’occasion de mettre en valeur la qualité des eaux-de-vie helvétiques: le kirsch primé de la famille Wirz agrémentera bientôt une boîte de douceurs produite par un grand chocolatier national.
+ D’info www.distisuisse.ch