Rencontre
Charrette! Voilà enfin un comédien qui sait causer d’agriculture!

Issu d’une famille paysanne d’Apples (VD), le comédien Simon Romang met la campagne en scène dans un one-man-show comique où il passe en revue son enfance, entre bottes de paille et tas de fumier.

Charrette! Voilà enfin un comédien qui sait causer d’agriculture!

Il débarque sur scène avec son «rablet» – son sarcloir, en patois local –, son accent vaudois, sa chemise à carreaux et ses souvenirs d’enfance. Dans son spectacle, qui tourne cet automne dans les théâtres de Suisse romande, Simon ­Romang met la ferme familiale qui l’a vu grandir sous les projecteurs, faisant revivre le hangar en tôle, les taurillons, le vieux tracteur Fiat, les champs de blé et de colza de son enfance. Charrette!, son premier seul-en-scène, commence sur fond d’hymne vaudois. Simon Romang donne d’emblée le ton, brossant un portrait vitriolé mais empreint de tendresse des gens du cru – «Les Vaudois? Tout sauf sexy!» – et de leur héros local, le major Davel, «ce révolutionnaire raté que tout le monde situe plus ou moins». Il ressert ensuite le propos autour de la vie de la ferme: la paille qu’il faut rentrer en quatrième vitesse car l’orage menace, les jeux de gamins entre la grange et le tas de fumier, l’arrivée d’un nouveau taureau valaisan qui ne s’entend guère avec son vaudois de propriétaire, bref, tout y passe, avec la langue rieuse mais bienveillante de ce jeune comédien né à Apples en 1984.

La ferme, belle école de vie
Simon Romang, qui signe ici son premier one-man-show, garde de cette période de son enfance des souvenirs lumineux. «La ferme est un merveilleux terrain de jeu, mais surtout une belle école de vie.» Tandis que son frère aîné, qui deviendra physicien, invente des objets, lui, le bougillon, échafaude – déjà! – des histoires abracadabrantesques. Les deux garçons donnent des coups de main à leurs parents. Mais aucun d’entre eux ne se destine à reprendre l’exploitation. La ferme familiale est ainsi vendue alors que Simon a 17 ans. «Nos parents nous ont toujours encouragés à faire ce qu’on désirait.» Pour lui, ce sera le théâtre. C’est lors d’une représentation de Roméo et Juliette dans le cadre scolaire qu’il a le déclic. Il a 14 ans. Attiré par l’intensité de la scène et l’amour du verbe, il décide alors qu’il sera comédien. Sitôt sa maturité en poche, à 20 ans, c’est le grand saut. Il quitte sa campagne natale pour Paris où il suit les cours Florent, une référence dans le milieu du théâtre. Il tente ensuite sa chance comme artiste à New York, tout en travaillant dans un restaurant et en prenant des leçons de danse. Il revient en Suisse à 25 ans et intègre la Manufacture, Haute École des arts de la scène, à Lausanne.

Le regard de l’enfant
Son diplôme acquis, Simon Romang décroche plusieurs rôles au théâtre, au cinéma et à la télévision. Il décide finalement d’écrire son propre seul-en-scène quand il comprend que son parcours est suffisamment particulier pour en faire un spectacle comique. «Amener l’agriculture sur scène s’est fait assez naturellement, confie-t-il. C’est un sujet original, et rares sont les artistes qui osent s’en emparer, faute de le connaître.» Le trentenaire ne tombe cependant ni dans la facilité ni dans la caricature. Avec malice et subtilité, il présente une réalité de l’agriculture vue à travers le regard d’un enfant. Il transmet toute l’admiration qu’il voue à ses parents – qui l’ont passablement inspiré pour ses personnages. «À la maison, mon père avait coutume de caser les mots «charrette» ou «charognerie» dans quasiment chacune de ses phrases», sourit le comédien. Dans son spectacle, il le décrit avec tendresse, ce paysan économe et débrouillard, surnommé «le professeur Tournesol» au village, car capable de tout faire lui-même, de la construction d’une mélangeuse en bois à la fabrication de cadrans solaires. «C’était le capitaine solitaire de l’exploitation agricole efficace et pas chère, raconte son fils. Il a beaucoup travaillé, mais toujours seul.»

«Petit-fils du plan Wahlen»
Simon Romang a lui aussi hérité de cet esprit de débrouillardise, qui lui rend d’ailleurs bien service dans le métier, ainsi que d’une grande humilité. «Si le métier d’acteur vient à disparaître, alors le monde continuera de tourner, confie-t-il. Mais si les paysans s’éteignent, on devra manger nos doigts!» Et de revendiquer fièrement ses racines paysannes, n’hésitant pas à se définir comme «un petit-fils du Plan Wahlen». L’agriculture est donc un pilier dans l’univers du jeune comédien, tout comme la famille, qui joue un rôle central dans Charrette! Simon Romang décrit la sienne comme bien vaudoise et discrète, mais capable d’un sens de l’accueil hors du commun. Ses parents logeront José, un immigré espagnol, en toute discrétion dans leur ferme. «Leur ouverture d’esprit m’impressionne. Ils nous ont inscrits, mon frère et moi, à l’école Steiner, et ont accepté que je me destine à une carrière d’artiste.» Avec un tel héritage, Simon Romang trace désormais sa route dans le monde du spectacle, cultivant son bon sens paysan et un goût certain pour l’autodérision. Sur l’affiche de son one-man-show, on le voit ainsi chevaucher une vache avec une facilité déconcertante. «Comme mon père est un paysan-poète, j’espère être à mon tour un comédien-agriculteur…»

+ D’infos Toutes les dates des représentations de Charrette! sur https://simonromang.ch/

Texte(s): Claire Muller
Photo(s): Thierry Porchet