Portrait
«Cette parcelle a valeur de symbole et de lien dans notre famille»

En cette année d’anniversaire, nous partons à la rencontre de lecteurs qui ont vécu une histoire inattendue grâce à Terre&Nature. Cette semaine, Pierre-Henri Heizmann, heureux propriétaire d’une forêt du Jura.

«Cette parcelle a valeur de symbole et de lien dans notre famille»
Acheter une forêt, Pierre-Henri Heizmann en rêvait depuis trente-cinq ans. Un vœu enfin réalisé en 2022, lorsque ce fidèle lecteur de 61 ans, administrateur du Muséum d’histoire naturelle de la Ville de Genève, découvre dans Terre&Nature qu’une petite parcelle boisée est à vendre dans le Jura. Il contacte alors les propriétaires, le courant passe immédiatement et la rencontre avec les lieux tient du coup de foudre. «C’était exactement ce que je recherchais: une forêt jardinée de feuillus et d’épicéas typique de la région, orientée nord, donc moins sensible à la sécheresse, qui abrite un nombre extraordinaire de champignons, d’oiseaux, de traces de chevreuils, de cerfs, de sangliers, de renards. Elle avait été pratiquement inexploitée depuis vingt-cinq ans, gérée avec amour par cette famille jurassienne», raconte avec enthousiasme Pierre-Henri Heizmann. D’une surface de 1,2 hectare, la parcelle est dans son budget. Car les banques prêtent dans le cadre d’investissements immobiliers, pas dans celui d’acquisitions forestières, qu’il faut pouvoir payer comptant. «On encourage les gens à acheter du béton, pas des arbres. Cela s’avère assez paradoxal pour l’époque, lorsqu’on sait le rôle que jouent ces zones arborées en faveur de l’environnement et de la biodiversité.» Un espace que le Genevois se réjouit de pouvoir préserver et transmettre à Séverine et Quentin, ses enfants. «Ils étaient plus enthousiastes que moi encore. Cette forêt a valeur de symbole et de lien entre nous. C’est quelque chose qui restera dans notre famille.»

Il était berger à 15 ans
De façon à garder son trésor secret, le Genevois a d’ailleurs proposé de nous rencontrer dans une autre zone boisée, située sur les hauteurs de Montricher (VD). Un lieu chargé de souvenirs, car c’est là qu’adolescent, il réalisa son premier rêve: celui de travailler à l’alpage. «Mes parents étaient des marcheurs. Ils n’avaient pas de voiture, nous prenions le train et partions randonner dans le Jura vaudois, le Pays-d’Enhaut, la Gruyère. J’étais fasciné par les vaches, le labeur des bergers et des fromagers», se remémore-t-il. Une lubie plutôt inattendue pour un citadin pur jus, comme il se décrit lui-même. «Depuis que mon arrière-grand-père Hermann est arrivé de Zurich afin d’ouvrir sa boucherie, nous avons toujours vécu au centre-ville de Genève.»

Sa ténacité finira par payer. À 15 ans, alors qu’il vient d’achever son cycle d’orientation, Pierre-Henri Heizmann décroche un emploi pendant les vacances d’été comme aide sur un alpage au-dessus du Mont-Tendre. «Mes parents m’ont emmené rencontrer l’agriculteur, un certain Frédéric Pittet, qui avait une ferme à Pampigny, non loin d’ici. À cet âge-là, je m’habillais tout en blanc, j’avais une drôle d’allure. Personne ne comprenait vraiment mon choix de partir là-haut tout l’été pendant que mes copains se réjouissaient d’aller voir du pays en Angleterre ou en Espagne», confie aujourd’hui le sexagénaire, en souriant. Pendant deux mois, l’adolescent expérimente le quotidien de paysan de montagne, se lève à 5 h du matin pour aller rapercher le bétail, traire, nettoyer les écuries, hisser les boilles à lait sur le pont du camion. «Il y avait une trentaine de vaches, cinquante génisses et une dizaine de veaux. C’était du boulot sans un seul jour de congé.» Ce fut aussi son premier contact avec Le Sillon romand, qu’il lisait le soir à la lueur de la bougie une fois ses tâches achevées.

Lors de la rentrée de septembre, il commence des études à l’École d’ingénieurs de Genève et repart en montagne les deux étés suivants. «La troisième année, j’étais un peu moins motivé, mais j’y suis allé par loyauté. Dans le but de pimenter mon séjour, Frédéric Pittet m’a alors emmené faire des coupes de sapins. Je ne connaissais rien à la tronçonneuse et je me suis entaillé le genou jusqu’à l’os. Mon travail s’est terminé après une semaine», relate Pierre-Henri Heizmann en dévoilant une cicatrice encore bien visible quarante-cinq ans plus tard.

Personnalité inclassable
À 20 ans, son diplôme d’ingénieur en génie mécanique réussi, il décroche un premier emploi dans l’industrie à Genève, puis est engagé au Service de l’énergie de la Ville, avant de reprendre des études de master en énergétique à l’EPFL. Son CV s’étoffera encore avec une formation dans les ressources humaines notamment et, après avoir dirigé celles des Transports publics genevois, il rejoint le Muséum d’histoire naturelle comme administrateur, un poste qu’il occupe encore dix-sept ans plus tard. Ce parcours professionnel atypique colle à sa personnalité tout aussi inclassable, lui qui est à la fois vice-président de la Société militaire de Genève et membre de Pro Vélo, écologiste et amateur de chasse au gibier. «J’ai pourtant un souci moral à la pratiquer et avec Denyse, nous procédons chaque fois à un rituel sur les lieux pour honorer l’animal», tient-il à préciser. Denyse, sa compagne, rencontrée il y a neuf ans sur un quai de gare à Neuchâtel. «Je l’ai trouvée lumineuse. J’ai tenté d’aller lui parler dans le train, mais elle dormait. Le soir même, en quittant le restaurant des Antiquaires où j’étais allé manger une fondue avec des amis, je l’ai aperçue promenant son chien en vieille ville. Il était tard, j’ai hésité à l’aborder. J’ai finalement osé et c’est là que tout a commencé.»

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Texte(s): Aurélie Jaquet
Photo(s): François Wavre/ Lundi13

Son univers

Sa rubrique préférée
Les brèves romandes: «Je les lis en premier, mais j’apprécie aussi les sujets nature et agricoles.»

Un livre
«La vie secrète des arbres», de Peter Wohlleben. «Un cadeau de ma fille, il m’a bouleversé.»

Un plat
La fondue. «Une véritable addiction depuis l’enfance. J’en mange une par semaine, été comme hiver!»

Un voyage
Les Caraïbes. «La forêt tropicale, la mangrove, les plages de sable noir, ces décors offrent une ambiance très diversifiée.»