Reportage
Cette artiste-biologiste recrée le monde végétal sur ses toiles

En août, nous partons à la rencontre de créatifs qui travaillent en plein air. Le troisième et dernier volet est consacré à Maeva Arnold, illustratrice scientifique neuchâteloise installée dans le canton de Saint-Gall.

Cette artiste-biologiste recrée le monde végétal sur ses toiles

«Vous l’entendez? C’est un pic noir, là, juste au-dessus de nous», lance Maeva Arnold en pointant son pinceau vers la cime des arbres. Assise en tailleur sur une bâche, l’artiste neuchâteloise de 41 ans scrute un instant le ciel avant de se remettre à l’œuvre. Son regard balaie la végétation puis sa page; elle essuie sa couleur dans un chiffon et reprend un peu de jaune sur sa palette. Devant elle, sur un bloc A3 cadré avec du scotch de carrossier, le décor apparaît progressivement, les feuilles dentelées des fougères prennent vie sous ses mains, la tige d’un mûrier court sur son lit de mousse. «J’ai eu un flash pour ce petit coin. J’aimais bien le mélange des tons, ces dégradés de vert, la délicatesse du polytrichum.»

Nous sommes dans une clairière à la limite de Jona, petit village saint-gallois à deux kilomètres de Rapperswil. Cette forêt mixte située en zone humide est bordée d’une roselière, et la plantation d’épicéas offre des coins ombragés où s’épanouit une végétation luxuriante, même en cet été caniculaire. Depuis qu’elle s’est installée dans la région il y a cinq ans, c’est ici que Maeva Arnold aime peindre. Illustratrice nature, elle réalise la plupart de ses œuvres en extérieur. «Travailler dehors change les perceptions. La lumière est pure, on sent le bruissement des végétaux, on aperçoit tout à coup un écureuil ou un mulot. Cette atmosphère se ressent sur le papier. Le résultat n’a rien à voir avec ce que je fais au bureau, il y a quelque chose de plus sensible, de plus vivant», poursuit l’artiste d’une voix douce.

Raconter une histoire
Maeva Arnold commence par esquisser les contours à l’aide d’un crayon bleu, une technique qu’elle utilise depuis peu et qui a l’avantage de disparaître à l’image lorsque sa création est scannée. Elle s’attelle ensuite à donner corps aux éléments, commence avec peu de couleurs pour unifier la page, puis augmente en intensité au fur et à mesure afin de marquer certains décors. «Je choisis chaque fois une zone sur laquelle je mets le focus en ajoutant encore plus de détails. Ma démarche est de raconter une histoire. Ici, ce qui me plaît, c’est cette pointe en bas de la page, le mûrier qui coupe la finesse de ces petites fougères…»

Maeva Arnold œuvre avec de l’aquarelle fine très pigmentée. Pour ce tableau, elle utilise surtout les verts et les oranges, avant de réaliser les ombres avec un gris de Payne légèrement bleuté et un noir neutre très dilué. À côté d’elle, un petit encrier métallique contient du brou de noix, un colorant extrait des coques des fruits. «J’adorerais pouvoir puiser davantage mes couleurs dans la nature. Pendant mes études, j’avais fait quelques essais avec du bouleau, dont l’écorce donne des jaunes sublimes», confie-t-elle. Une rencontre entre l’organique et l’artistique qui raconte aussi son parcours. Élevée à Neuchâtel, peintre depuis l’âge de 7 ou 8 ans, Maeva Arnold se passionne d’abord pour l’ornithologie et travaille, adolescente, dans une station de bagage d’oiseaux. Sa maturité fédérale en poche, elle choisit de voyager et s’engage comme «écovolontaire» dans différents projets environnementaux et humanitaires au Costa Rica, au Burkina Faso et en Australie. «Cette année sabbatique m’a convaincue de me diriger vers des études de biologie, malgré les encouragements de ma prof de gymnase à m’engager dans une voie artistique.»

 

Techniques multiples
Maeva Arnold se forme ainsi en écologie et en éthologie évolutive à l’Université de Neuchâtel, puis repart au Mexique pendant un an et demi. À son retour, elle trouve un emploi comme gardienne d’animaux au Papiliorama de Chiètres (FR), mais n’abandonne pas pour autant la création. Après avoir visité différentes écoles d’art romandes, toutes trop contemporaines à son goût, elle est acceptée sur dossier à la Haute école d’arts appliqués de Lucerne, où elle se formera pendant trois ans. Ses thèmes de prédilection sont tant botaniques – elle avoue une fascination particulière pour les plantes à fleurs – que zoologiques: elle a réalisé des travaux sur les oiseaux et croque régulièrement les insectes qui peuplent nos régions.

Bien que sa technique de prédilection demeure l’aquarelle, Maeva Arnold recourt également à l’acrylique et aux esquisses au stylo noir ou au crayon. Aujourd’hui artiste indépendante, elle se consacre exclusivement aux mandats nature et réalise des œuvres pour la revue Salamandre, divers parcs régionaux, comme celui de Gruyère Pays-d’Enhaut, ou encore Pro Natura. Récemment, elle a aussi scénographié et illustré une exposition itinérante sur les oiseaux de prairie présentée à l’Unesco World Nature Forum pour le compte de la Station ornithologique suisse de Sempach (LU). Autant de projets qui lui permettent de créer en plein air tout en participant à faire connaître notre environnement afin de mieux le protéger. Le graal absolu pour cette artiste-biologiste. «Et puis, avouez qu’on est quand même mieux assis par terre dans une forêt que derrière un bureau, non?»

+ d’infos Maeva Arnold donne également des cours au public: www.arnoldmaeva.ch

Texte(s): Aurélie Jaquet
Photo(s): Aurélie Jaquet