Nature
Cet oiseau mérite mieux que sa réputation d’écorcheur

Avec son allure de bandit masqué doté d’un bec crochu et ses mœurs de rapace miniature, la pie-grièche écorcheur est de retour sous nos cieux pour l’été. Mais l’espèce, élue oiseau de l’année, est en danger.

Cet oiseau mérite mieux que sa réputation d’écorcheur
Le dernier représentant
La pie-grièche écorcheur fait l’objet de toutes les attentions de Jean-Luc Zollinger. Biologiste indépendant, il suit son évolution depuis vingt-cinq ans dans la région du pied du Jura vaudois. «Ce travail dans la durée m’a permis de déceler une variation cyclique de l’abondance de cet oiseau avec des pics tous les dix ans, suivis de baisses plus ou moins prononcées. Ici, ces fluctuations naturelles masquent une stabilité de la population, alors qu’au niveau national la tendance est clairement négative. En outre, la pie-grièche écorcheur est la dernière espèce de la famille des Laniidés à nicher dans notre pays, après l’extinction, durant le dernier quart du XXe siècle, des trois autres espèces indigènes.»

Espèce volage
Chez les oiseaux, la notion de fidélité varie selon les espèces. Si les couples d’aigles royaux perdurent des décennies, la pie-grièche est plus volage. «Elle est monogame, mais pas forcément fidèle. Les partenaires ne sont liés que durant la saison en cours et rares sont ceux qui se retrouvent au printemps suivant, car les femelles ne reviennent pas nécessairement où elles ont niché l’année précédente. En moyenne, les mâles arrivent dans nos régions trois jours avant elles et défendent âprement ce territoire contre leurs congénères. Dès qu’une femelle y pénètre, la formation du couple est rapide, le mâle se livre à des vols nuptiaux et parade devant la femelle, lui faisant ensuite des offrandes de nourriture. Si la femelle est séduite, elle choisit sans tarder le site du nid et entame sa construction.»

Elle empale ses proies
Nourrir une nichée annuelle en demande constante requiert des qualités de chasseurs. Avec son regard pointu et son impressionnante réactivité à passer à l’action, la pie-grièche est efficace. «L’espèce, très généraliste et opportuniste, est avant tout insectivore. Elle privilégie les gros insectes tels bourdons, coléoptères ou sauterelles et complète avec de petits vertébrés, comme de jeunes campagnols, péniblement transportés en vol comme j’ai pu l’observer. L’oiseau, qui chasse à l’affût, a la particularité d’empaler des proies sur des épines de prunellier ou d’aubépine, une pratique variable selon les individus et les régions. Le lardoir semble avoir plusieurs fonctions: d’abord faciliter le dépeçage des proies, ensuite gérer un stock alimentaire pour les périodes de mauvais temps et enfin permettre aux femelles de sélectionner les mâles «bons chasseurs». Une hypothèse à confirmer…»

Oiseau 2020
La pie-grièche écorcheur a été désignée Oiseau de l’année 2020 par Birdlife Suisse. Pourquoi ce choix? «La mise en place de l’infrastructure écologique est l’un des objectifs essentiels de la Stratégie Biodiversité suisse décidée en 2012 par le Conseil fédéral, poursuit l’expert. Dans le paysage agricole, il s’agit de mettre en réseau les haies basses d’épineux, les buissons et autres petits biotopes isolés indispensables à la reproduction de l’espèce dans les régions riches en prairies et pâturages. L’objectif de Birdlife est d’attirer l’attention sur un oiseau qui a perdu la moitié de ses effectifs suisses en trente ans. La pie-grièche écorcheur est, de ce fait, emblématique de cette infrastructure écologique fonctionnelle, projet dont l’exécution exigera de très nombreuses années. Les brûlis et pulvérisations d’herbicides bannis, des exemples récents de revalorisation de haies au pied du Jura vaudois montrent que l’espèce réagit positivement et rapidement!» Le mâle offre des cadeaux à la femelle pour la séduire dans le but de former un couple reproducteur. Ce qui lui permet de prouver ses talents de chasseur apte à nourrir une famille. Les offrandes acceptées, la femelle commence directement la construction du nid dans un buisson épineux. L’espérance de vie de l’espèce est de 5 à 6 ans.

Migratrice au long cours
Entre mi-juillet et fin août, la pie-grièche écorcheur amorce une migration de 10000 kilomètres en direction du sud. Jean-Luc Zollinger a suivi les étapes de son voyage jusqu’en Afrique du Sud, destination finale de l’oiseau. «En automne, les écorcheurs passent par les Balkans, la vallée du Nil et le Rift est-africain afin de rejoindre leurs quartiers d’hiver en Afrique australe. Un voyage de 100 jours, effectué de nuit, qui comprend entre 55 et 60 jours passés dans la savane soudano-sahélienne pour reconstituer des réserves. Toutes les populations européennes migrent par cette voie est-africaine selon un schéma en boucle. Le retour printanier s’effectue plus à l’est, une stratégie liée aux régimes des vents dominants. Il passe alors par la Corne de l’Afrique, la Péninsule arabique et la Turquie. L’espèce consacre près de 65% de son cycle annuel à ses migrations et à son hivernage sur sol africain.»

 

Texte(s): Daniel Aubort
Photo(s): Daniel Aubort