Jardin
Ce fribourgeois vit en autonomie alimentaire, été comme hiver

Depuis quinze ans, Christophe Broillet et sa famille cultivent légumes et céréales, en plus de transformer viande et produits laitiers. Un mode de vie militant et gourmand qu’ils partagent en vidéo chaque semaine.

Ce fribourgeois vit en autonomie alimentaire, été comme hiver

Bien que cette rubrique soit dédiée au jardin, laissez-moi d’abord vous décrire l’intérieur de la maison des hôtes du jour, établis à Villariaz (FR). Sur des étagères, des centaines de bocaux sont soigneusement alignés et étiquetés, de la cave au cellier. À l’intérieur, polenta, légumes séchés, cornichon, curcuma, gingembre, bouillon, tabasco et confitures, le tout 100% cultivé et fait maison. Depuis près de quinze ans, Christophe Broillet et son épouse Birgit tendent vers l’autonomie alimentaire. Un défi que ces parents de trois enfants relèvent été comme hiver, de la récolte à la transformation, en passant par la multiplication des graines et le perfectionnement des techniques de conservation.

«Nous n’allons au supermarché que pour le café, le chocolat et certaines épices exotiques. Et si nous ne faisons pas l’effort de préparer des biscuits, nous n’en mangeons pas. C’est aussi simple que ça, confie le quadragénaire en ouvrant ses placards. Vous voyez, nous sommes à la fin de la saison froide et il y a encore pas mal de stock.» Car chez les Broillet, autonomie n’est pas synonyme d’austérité. «Nous sommes gourmands et gourmets», déclare le Fribourgeois en nous emmenant dans son jardin de près de 1000 m2, laboratoire de ses expérimentations.

Produire ses propres semences

Devant la villa, deux grandes serres sont dédiées aux cultures hâtives et tardives, ainsi qu’aux légumes méditerranéens. En ce mois d’avril, salades, carottes, artichauts, brocolis et fraises ont été plantés et s’épanouissent sous une température de 30°. Dans des caisses, des plantons de douze variétés de tomates pointent le bout de leur nez. «La nuit, je les met au milieu de bottes de paille que j’enveloppe d’une couverture thermique, pour éviter qu’ils gèlent. Sinon, je les rentre dans la maison, mais c’est beaucoup d’allers-retours, raconte-il. Je suis obligé de tricher pour pouvoir récolter le plus tôt possible à cette altitude.» Malgré la bise et les récentes chutes de neige, les premières figues et fleurs de fraisiers sont apparues. «C’est magique ici, tout va tellement vite!» s’exclame le jardinier, un arrosoir à la main.

Dehors, pas de gazon, mais du paillage, des feuilles, du bois et d’autres matières organiques, afin de conserver une bonne hygrométrie. «Reproduire l’environnement naturel permet d’éviter le gel, comme le sol d’une forêt», dit-il. Si la plupart des légumes seront plantés au mois de mai, un carré de blé rouge de Bordeaux est déjà en terre. «C’est un test. Je l’égrainerai ensuite à la main pour le moudre dans mon petit moulin, comme je le fais pour le maïs à polenta.» Afin d’enrichir le sol, Christophe Broillet utilise un lombricompost issu de sa ferme à vers de terre – «le meilleur engrais qui existe» –, ainsi que des coquilles d’œufs broyées.

Enfin, chaque année, l’homme à la main verte s’applique à multiplier les graines de ses végétaux, qu’il range ensuite soigneusement. «Au printemps, l’enjeu est d’éviter les pollinisations croisées. Pour ce faire, je plante en fonction du vent, de sorte à ce que les graines de variétés différentes ne soient pas transportées d’une parcelle à l’autre.» En revanche, nul besoin d’effectuer une rotation des cultures, explique l’autodidacte. «Je pars du principe que les végétaux laissent une terre saine à leur descendance. C’est le cycle de la vie!» lance-t-il en regardant tendrement Bonnie et Clyde, deux coureurs indiens qui cancanent entre les plates-bandes. «Ces canards nous débarrassent des limaces. Ici, nous accueillons aussi hérissons et crapauds. Plus il y a de biodiversité, mieux c’est!»

 

Déchets réduits de 95%

Si on imagine aisément les plats concoctés durant l’été, difficile de se représenter ce que l’autarcie alimentaire signifie en hiver. Christophe Broillet, lui, rivalise de créativité. Galettes de maïs façon fajitas avec de la sauce tomate, légumes lactofermentés, conserves et pestos régalent la maisonnée la moitié de l’année. «Sentez ces poivrons séchés comme ils hument bon le soleil. Et goûtez ces cornichons, vous allez halluciner», assure-t-il, volubile, en nous ouvrant les bocaux sous le nez. Quant il ne récolte pas les fruits de son travail, le Romand achète viande, sucre, farine et lait en vrac à des paysans. «Avec un demi-cochon, je prépare des terrines et saucisses pour l’année. Et avec le lait, des tommes et de la crème. Nous avons aussi acheté un stérilisateur pour éviter le développement de bactéries.»

Grâce à ce fonctionnement, les Broillet ont réduit de 95% leurs déchets. «À cinq, nous remplissons une demi-poubelle toutes les deux semaines», se félicite Birgit, infirmière à domicile, qui fabrique elle-même les produits cosmétiques et ménagers du foyer. Mais où trouvent-ils le temps de tout faire? «C’est une vocation, résume Christophe, qui exerce en parallèle le métier d’apiculteur. Il faut être organisé, zen et motivé, même s’il n’est pas facile d’être en marge de la société.» Fort de leur expérience, ils ont lancé une chaîne YouTube baptisée «L’art du fait maison», sur laquelle ils documentent leur démarche auprès de 3000 abonnés. «Nous encourageons tous ceux qui ont un bout de terrain, même un balcon, à se lancer. Face à la crise climatique, il est possible d’agir. C’est même une nécessité.»

+ d’infos www.lartdufaitmaison.com

 

Texte(s): Lila Erard
Photo(s): Jean-Paul Guinnard

Son terrain, c’est:

  • 990 m2 à 770 mètres d’altitude.
  • 100 m2 de serre.
  • Plus de 120 variétés de légumes.
  • 350 plantons de salades.
  • 35 espèces de poivrons et piments.
  • 150 kg de tomates en conserve par année.
  • 2 heures minimum de travail par jour.
  • Un réservoir de 10000 litres d’eau de pluie pour arroser la parcelle.

Le jardinier

Christophe Broillet a d’abord été ingénieur en télécommunication et gestionnaire de fortune avant de devenir apiculteur. En 2008, il s’est lancé le défi de l’autonomie alimentaire, avec son épouse Birgit. «J’aime être autodidacte. D’ailleurs, j’essaie d’apprendre une activité chaque hiver, comme la vannerie ou la fabrication d’outils», dit le Fribourgeois de 47 ans. Cet été, le couple déménagera dans une maison avec trois hectares de jardin au Portugal, dans lequel il fera pousser agrumes, olives et avocats.