NATURE
Brouillard et stratus, cette purée de pois dans laquelle on n’y voit goutte

Un ciel bas, sans relief et uniformément blanc, ou un nuage épais et diffus semblant collé au sol et entraînant perte de repères et de visibilité: ce sont deux facettes d'un même phénomène, classique des premiers frimas.

Brouillard et stratus, cette purée de pois dans laquelle on n’y voit goutte

L’arrivée de l’automne, certes tardive, marque également le retour d’un de ses symptômes les plus caractéristiques: le brouillard et les stratus, qui plombent le ciel et parfois le moral – et surtout rendent littéralement invisibles tout objet situé à plus d’un kilomètre. C’est d’ailleurs la définition météorologique du brouillard; lorsque la visibilité est comprise entre 1 et 5 km, on parle plutôt de «brume».

Un nuage au ras du sol
Typique de novembre (et d’octobre, du moins en temps normal) même s’il est devenu moins fréquent depuis les années nonante, «le brouillard n’est rien d’autre qu’un nuage qui se forme au niveau du sol, lorsque l’humidité relative de l’air dépasse 100%», précise Didier Ulrich. «L’air atteint sa valeur de saturation, c’est-à-dire qu’il ne peut pas contenir plus d’eau sous forme de vapeur transparente, explique le météorologue, prévisionniste à MétéoSuisse. Toute l’humidité qui s’y ajoute se condense donc en gouttelettes, qui sont, elles, bien visibles.» De dix à cent fois plus petites que des gouttes de pluie, ces gouttelettes en suspension diffractent la lumière de manière homogène, formant ainsi ce voile de couleur blanchâtre qu’on compare volontiers à de la purée de pois.
«La capacité de l’air à contenir de l’eau sous forme de vapeur dépend de sa température: plus il est froid, plus sa valeur de saturation est basse», ajoute Didier Ulrich. Les variations sont considérables: à 30°C, l’air peut contenir jusqu’à 30 g de vapeur d’eau par mètre cube. À 10°C, la quantité tombe à moins de 10 g par mètre cube, et passe sous la barre des 5 g/m3 à l’isotherme.
La conséquence est double: primo, un brouillard «chaud» sera souvent plus dense, la masse d’eau en suspension étant plus importante. «Mais l’impression de densité dépend grandement de la présence ou non de repères visuels», note le météorologue. Secundo, le brouillard va se former de préférence durant les mois d’automne et d’hiver, profitant à la fois de la diminution du rayonnement solaire et du refroidissement du sol durant la nuit – et de préférence dans des endroits où l’air froid et lourd peut s’accumuler.
«La limite entre 99% et 100% d’humidité relative n’est pas absolument précise, et la température de l’air n’est pas homogène, précise-t-il encore. Il fait plus froid près du sol, d’où la présence fréquente de «fumerolles» de brouillard. Il suffit ensuite d’un courant d’air pour que tout se mélange.»

Lacs d’air froid
Le Plateau suisse forme ainsi une véritable baignoire, où l’air froid et lourd qui s’écoule des Alpes et du Jura stagne et finit par atteindre son point de condensation. Les météorologues parlent d’ailleurs de «lac d’air froid». C’est la même chose au Tessin, où le vent sec soufflant des vallées chasse l’air en direction de la plaine du Pô – où il se retrouve bloqué entre Alpes et Apennins.
La présence de reliefs ne signifie pas pour autant l’absence de brouillard. «À proximité des hauteurs, la couche d’air humide s’épaissit, et les courants de bise ont tendance à se glisser dessous, en la surélevant de quelques centaines de mètres. C’est ce qu’on appelle le stratus, précise le prévisionniste. À Genève, par exemple, le couloir étroit entre Alpes et Jura accélère le moindre souffle d’air, et comme le long du Jura ou des collines du Plateau, le stratus y est plus fréquent que le brouillard.»
Brouillard et stratus partagent une fâcheuse propension naturelle à s’éterniser une fois installés; le lac d’air froid a même tendance à se renforcer. Et faute d’un ensoleillement suffisant pour permettre la formation de thermiques susceptibles de brasser l’atmosphère, il n’y a guère que l’arrivée des vents forts accompagnant une perturbation qui soit à même de dissiper la couche nuageuse. Bref, souhaiter la fin du stratus, c’est espérer le retour du mauvais temps.

Texte(s): Blaise Guignard
Photo(s): DR

Notre expert

Né en Valais, Didier Ulrich officie depuis quelque trente ans en tant que météorologue prévisionniste. Passionné par l’agriculture autant que par la météo, il a d’abord étudié l’agronomie à l’École polytechnique de Zurich, tout en suivant les cours de météorologie dispensés à la haute école. Son intérêt pour cette dernière branche a fini par l’emporter et l’inciter à rejoindre MétéoSuisse, tout en complétant parallèlement sa formation en cours d’emploi, le métier de météorologue n’étant pas l’objet d’un cursus spécifique en Suisse.