Construction
Des communes valorisent leur bois dans des bâtiments publics

Utiliser les ressources forestières communales pour construire son école? La loi sur les marchés publics
le permet, mais il faut une forte volonté politique. Dans la construction, le bois suisse reprend du galon.

Des communes valorisent leur bois dans des bâtiments publics

Les yeux écarquillés et les mains sur les oreilles, ils ont assisté à l’abattage du premier arbre qui servira à la construction de leur future école primaire. De la forêt à la charpente, le bois n’aura parcouru que quelques dizaines de kilomètres. À l’image de la commune d’Ursy ou de celle de Vaulruz (FR), d’autres ont choisi d’utiliser les ressources forestières locales pour la construction de leurs bâtiments publics. Ce qui allait jadis de soi requiert aujourd’hui de la part des commanditaires une sacrée détermination pour répondre aux exigences de la loi sur les marchés publics et trouver les entreprises locales à même d’accomplir le travail.
Depuis les années nonante, l’ouverture des marchés met à mal l’économie forestière et la filière du bois suisse. Pour les propriétaires de forêts, la vente du bois ne couvre souvent pas les frais de récolte. La forêt, autrefois perçue comme un capital, est devenue une charge. La Suisse importe toujours plus de produits déjà semi-transformés tandis que la moitié du bois indigène exploité finit en copeaux pour produire de l’énergie. «Avant d’envoyer une belle bille rectiligne se faire hacher, il faudrait la valoriser dans la construction, soutient Sébastien Droz, de Lignum, l’organisme faîtier de promotion du bois en Suisse. Pour cela, nous devons favoriser le bois indigène et nos entreprises transformatrices. Elles sont au bénéfice d’un savoir-faire qui risque de disparaître, tout comme le tissu économique de la filière bois. Le certificat d’origine bois suisse (voir l’encadré ci-contre) va dans ce sens.»
Construire en bois? La tendance est à la hausse. Privilégier le bois suisse relève d’une démarche engagée. Faire appel aux ressources forestières communales relève du parcours du combattant. Le syndic de Bassins, Didier Lohri, en sait quelque chose. Depuis 2002, la commune vaudoise valorise le bois de ses forêts dans ses bâtiments scolaires, dont la salle de sport, dernière en date. Certifiée COBS, elle est composée à 90% de bois local: du bardage extérieur en mélèze à la laine de bois isolant la toiture. Les cantons de Vaud et de Fribourg cherchent à favoriser leur filière bois locale depuis dix ans déjà. Au niveau politique, les groupes bois, qui réunissent, dans plusieurs cantons, des députés prêts à défendre l’industrie forestière, font un lobbying actif afin que l’État favorise l’utilisation du bois indigène. «Sans volonté politique claire, cette exigence est difficile à tenir, souligne Gilbert Hirschy, secrétaire de Lignum Neuchâtel. Les questions de coûts et de délais de réalisation sont cruciales, ainsi que la conformité avec la loi sur les marchés publics. Dès la mise en route du projet, dans le cahier des charges, la question de l’origine de la matière première doit être mise sur la table.»

Appels d’offres spécifiques
La législation en matière d’appels d’offres publics interdit de favoriser directement un producteur, une origine ou un lieu géographique. Une variante bois suisse peut être intégrée à l’appel d’offres afin de permettre la comparaison des prix indigènes avec ceux du matériau importé, mais le marché doit être attribué au soumissionnaire le meilleur marché, selon les directives GATT/OMC. Toutefois, si le maître d’ouvrage veut imposer son propre bois, il peut le mettre à la disposition de la scierie, du charpentier ou du menuisier gratuitement. L’appel d’offres ne concerne alors plus que la transformation de cette matière première. À noter que, si la valeur seuil de 500 000 francs établie pour les bâtiments et travaux publics n’est pas dépassée, l’appel d’offres peut se faire par invitation. Ce qui permet de favoriser des entreprises transformatrices locales, éventuellement au bénéfice du COBS.

Un surcoût relatif
Construire local, avec du bois issu des forêts du village en favorisant les entreprises locales est donc possible. Mais à quel prix? L’étude «Plus-value bois suisse» (voir l’encadré ci-contre) a prouvé qu’en regard de l’ensemble des coûts d’un bâtiment, le surcoût lié à l’utilisation de bois suisse est supportable et ne représente que quelques pour cent du total.
Encore faut-il que les entreprises transformatrices soient à même d’utiliser ce bois indigène brut. «Depuis quelques années, les champs d’application du bois dans la construction ont été considérablement élargis, constate Sébastien Droz. Nos entreprises sont techniquement très compétitives et peuvent, si nécessaire, se grouper en consortium.» C’est ce qui a été réalisé dans le cadre du nouveau bâtiment de la police cantonale fribourgeoise à Granges-Paccot. Devisé à 42,5 millions de francs, il est constitué d’une structure en bois issu des forêts de l’État. Pour assurer le sciage des 2228 m3 de bois massif provenant de cinq arrondissements forestiers, neuf scieries établies dans un rayon de 50 kilomètres se sont groupées en consortium. Un important travail de coordination a été nécessaire pour assurer la traçabilité du bois et tenir le calendrier. En effet, l’utilisation du bois local doit être anticipée afin de respecter les délais prévus. L’abattage, le transport, le sciage ainsi que les transformations éventuelles doivent être pris en compte. Pour l’établissement primaire de Vaulruz, inaugurée début octobre, près de 500 m3 de sapin blanc avaient été abattus, en janvier 2015, dans les forêts du village. Les élèves d’Ursy, eux, devront encore attendre un peu avant d’intégrer les classes en bois de leur école.

Texte(s): Marjorie Born
Photo(s): Lignum/Delphine Schacher

En chiffres

Le coût de la construction en bois suisse
Une étude réalisée par l’Association forestière valaisanne en collaboration avec l’Office romand de Lignum a quantifié les surcoûts liés à l’utilisation du bois suisse pour trois
types de bâtiments (chiffres 2013):
La plus-value sur les coûts du matériau oscille entre 10 et 20% si l’on choisit du bois d’origine suisse. L’étude prend en compte les coûts de la construction dans leur globalité.

  • Halle industrielle de 600 m2: la plus-value sur les coûts du constructeur bois n’est que de 0,8%. Sur l’ensemble des coûts de la réalisation, elle ne s’élève plus qu’à 0,5%.
  • Immeuble de logements de 3 étages: la plus-value sur les coûts du constructeur bois n’est que de 2,9%. Sur l’ensemble des coûts de la réalisation, elle ne s’élève plus qu’à 1,1%.
  • Maison individuelle de 150 m2 habitables: la plus-value sur les coûts du constructeur bois n’est que de 3,4%. Sur l’ensemble des coûts, elle ne s’élève plus qu’à 1,6%.

+ d’infos Rapport plus-value bois suisse, www.foretvalais.ch

Bon à savoir

Quelles sont les garanties d’origine?
La Suisse dispose de lois parmi les plus exigeantes pour encadrer l’exploitation durable de ses forêts. Les labels internationaux FSC et PEFC attestent de l’exploitation durable des forêts, mais pas de la provenance. Seul le certificat d’origine bois suisse (COBS) garantit l’origine du produit à l’utilisateur final. Il est propriété de l’association Lignum Économie suisse du bois qui se charge de son attribution et des contrôles inhérents. Il vise à promouvoir la vente de bois issu des forêts helvétiques, à renforcer l’économie indigène de la forêt et du bois et il véhicule des valeurs positives tant dans les méthodes de production que dans le respect de l’environnement. Avec le COBS, la traçabilité de la forêt au produit final, en passant par la chaîne de production, est assurée. Ce certificat peut être attribué tant à des forêts qu’à des entreprises de transformation ou à des produits finis (objets, bâtiments ou parties de bâtiments), à condition que le bois suisse constitue au minimum 80% du produit.
+ d’infos www.bois-holz-legno.ch