Ysengrin et Vénus
Ysengrin et Vénus

Le jour peine à se lever. Le ciel est chargé de nuages bas et une pluie fine tombe sans relâche sur le Jura. A l’abri sous les branches basses d’un sapin, nous scrutons en silence avec mon ami Laurent, le grand pré qui s’étale devant nous. Seules quelques gouttes d’eau s’écrasent de temps en temps sur nos blocs de dessin.

On devine maintenant les silhouettes des génisses dont les sonnailles se mêlent aux chants des premières grives. Nous sommes bien conscients de nos maigres chances, pourtant plusieurs récentes observations et la convergence d’indices glanés nous font penser qu’une famille de loup vit dans les environs. Nous aimerions tant voir Ysengrin surgir sur le pâturage.

Le jour est maintenant bien installé, mais le ciel est toujours aussi bas et la pluie n’a pas cessé. Une ambiance jurassienne dans toute sa splendeur! Voilà des heures que nous guettons et l’envie nous prend de dégourdir nos jambes. Nous quittons la zone en marchant d’un bon pas pour nous réchauffer, bredouilles une fois encore…

Arrivés près d’une ferme d’alpage, nous nous entretenons un moment avec l’agriculteur et son épouse qui arrivent justement en voiture. La discussion tourne vite autour de la présence des loups qu’ils n’ont jamais vus et dont ils n’ont pas peur.

Ils n’ont pas davantage peur pour la vie de leurs génisses, tout au plus sont-ils énervés de devoir aller en rechercher parfois une en forêt quand, prise de panique à la vue du prédateur, elle saute par-dessus un muret!

«Y’a plein d’appareils photos fixés aux arbres dans les bois et en lisière. Vous n’êtes pas les seuls à étudier la bête, ça circule pas mal par ici!» et en lançant un clin d’œil à son épouse: «On ose même plus emmener sa bonne amie en forêt, de peur d’être photographié!»

Nous quittons les paysans sur cette touche d’humour, regagnons nos véhicules et, en nous séparant, nous nous promettons de retenter notre chance prochainement…

De retour vers la plaine et au vu de la date, une halte s’impose dans ce site forestier que je connais et près duquel je passe maintenant. Après une petite marche dans la forêt, je découvre les premiers sabots de vénus en pleine floraison. Ils sont si discrets dans le sous-bois, qu’une personne peu attentive pourrait très bien passer à côté sans les voir.

Je m’installe près d’une de ces splendides orchidées dont la hampe possède une double fleur et dessine un moment les sabots de la déesse, à l’abri, sous mon parapluie.

Texte(s): Pierre Baumgart
Photo(s): Pierre Baumgart