Un drame sur la piste de danse
Un drame sur la piste de danse

Le dénombrement des grands tétras sur les places de parade, organisé chaque année par la Conservation de la Faune du canton de Vaud, n’a pas pu se dérouler ce printemps, en raison de la pandémie et de l’impossibilité de réunir les observateurs sur un même lieu. J’ai pris la décision d’effectuer cependant le contrôle d’une place que je connais bien pour y avoir observé de nombreuses années cette parade aussi discrète que spectaculaire.

Le temps est maussade cet après-midi quand nous entamons, avec mon fils, la longue marche qui nous amènera à la clairière secrète, quelque part dans le Jura vaudois. Arrivés sur place, une pluie soutenue nous contraint à rester un moment à l’abri, sous les branches d’un arbre. Sitôt l’averse passée, tels Sherlock Holmes et Watson, nous commençons notre travail de prospection.

Il s’agit de découvrir des traces, crottes ou plumes qui sont autant d’indices qui nous permettront de comprendre la répartition des coqs sur le site afin de placer notre affût de manière stratégique. L’emplacement est choisi et nous nous installons.

Confinés dans notre carré de toile, nous lisons un moment jusqu’à ce que la nuit s’installe et que le sommeil nous prenne.

Peu avant 5 heures du matin, avant que les premières grives ne se mettent à chanter, nous entendons les curieux «coups de bouchon» émis par les coqs branchés dans les arbres environnants. De bon augure… Combien sont-ils, trois, quatre? Nous sommes impatients d’en voir un descendre au sol, dans un bruyant battement d’ailes.

Vers six heures, plus de manifestations des coqs alors que tous les autres oiseaux de la forêt chantent. Le jour est maintenant bien installé, toujours rien. Que se passe-t-il?

Un peu après 9 heures, nous nous décidons à plier bagage et quittons discrètement la place. En contournant la butte, je repère une grande plume noire sur le sol, puis une autre et en nous approchant, nous découvrons la plumée entière de ce qui fût un majestueux coq de bruyère.

Comme il n’y a pas de traces de mastication sur le rachis des plumes, c’est donc un oiseau qui a plumé notre coq. Parmi les prédateurs ailés, seuls l’aigle royal ou une grosse femelle d’autour sont capables de commettre un tel méfait (je n’ai pas connaissance d’une attaque de hibou grand-duc sur les tétras).

Voilà donc la réponse à notre énigme de l’aube! Nous imaginons la scène dantesque qui s’est déroulée ici, il y a quelques jours et nous comprenons pourquoi les oiseaux, terrorisés par l’attaque du prédateur, n’osent plus temporairement descendre au sol pour pavaner.

Texte(s): Pierre Baumgart
Photo(s): Pierre Baumgart