Un colvert à table
Un colvert à table

Notre hôte étant occupé à préparer une agape, il me confie le soin de servir les boissons. En ouvrant la porte du réfrigérateur pour prendre une bouteille de vin blanc, quelle n’est pas ma surprise de me trouver nez à nez avec un mâle de canard colvert qui semble endormi sur une étagère. «Je l’ai chassé la semaine dernière pour mon amie A. qui n’est finalement pas venue le récupérer. Il faut le consommer dans les deux jours. Si tu veux, tu peux l’embarquer.»

En rentrant chez moi, je suis un peu troublé par la présence de ce canard dans mon sac à dos. Le lendemain après-midi, nous dessinons l’oiseau au salon, avant la préparation de notre repas avec mon épouse et les garçons.

A une époque de questionnement sur notre rapport à la consommation de viande, je trouve très intéressant et éducatif d’apprêter soi-même une bête en poil ou en plume. Ce geste banal dans tout l’histoire de l’Homme est devenu pourtant assez exceptionnel aujourd’hui, pour les citadins que nous sommes.

Une minutieuse séance de plumée de l’oiseau va donc nous occuper un moment sur le balcon. A tour de rôle, nous arrachons les plumes qui volettent partout autour de nous. Nous ôtons délicatement le manteau du canard en veillant toutefois à ne pas trouer la peau. La tâche n’est pas si facile d’autant qu’il fait très froid et que nos mains sont engourdies.

Comme l’oiseau a déjà été vidé, il est bientôt prêt pour être cuisiné. Après avoir brûlé les petites plumes restantes, il n’y a plus qu’à couper les ailes, la tête et les pattes. La réticence qu’on aurait pu attendre avant d’accomplir cet acte somme toute assez violent ne s’est pas présentée et c’est tout naturellement que mes fils se sont acquittés de la tâche.

La volaille ressemble maintenant à quelque chose de plus familier, comme si elle avait perdu son statut d’animal. Nous la passons au four, préparons un accompagnement et dressons la table.

Le moment du souper est solennel et c’est avec beaucoup de plaisir que nous partageons ce repas en famille. Nous ressentons de la gratitude et du respect envers cet oiseau dont le dessin trône à présent sur une commode, en souvenir de ce moment particulier.

 

Texte(s): Pierre Baumgart
Photo(s): Pierre Baumgart