Mon caca, une précieuse offrande à la terre
Mon caca, une précieuse offrande à la terre

Le sujet n’est pas facile à aborder. Mais pas question de tourner autour du pot. Je vais mettre les pieds dans le plat et vous parler carrément de caca. Le mien, le vôtre, celui qui nous ramène à notre condition animale et que d’un coup de chasse magique nous faisons disparaître loin des yeux et du nez à grand renfort d’eau potable. Celui qui génère chaque jour des millions d’hectolitres d’eau sale que nos sociétés s’évertuent ensuite à épurer afin de pouvoir la relarguer dans la nature.  Si on y réfléchit un peu, c’est une aberration dont nous sommes chacun complices en toute bonne conscience, car on n’imagine pas pouvoir faire autrement. Il faut bien avouer que c’est drôlement pratique de confier à d’autres le soin de s’occuper de la chose à des kilomètres de nous. Et comme on n’en est pas à une absurdité près, on importe et on épuise les réserves mondiales de phosphore pour engraisser nos champs, alors qu’on a sous nos lunettes un engrais hors pair, riche en phosphate et autres nutriments dont nos cultures raffolent.

Voilà pour le contexte. On ne va pas pouvoir changer facilement le système, mais à notre petite échelle, il existe une solution: la toilette à compost ou toilette sèche. Notre famille a mis du temps à s’y mettre, car nous avons aussi succombé au confort de la chasse d’eau. Sous les conseils d’Emmanuelle Bigot, spécialiste des toilettes sèches à l’enseigne de Biocapi, nous avons commencé par acheter deux grands seaux carrés que nous avons oubliés dans un coin assez vite. Puis il y a deux ans, on s’est jeté à l’eau, en remplaçant la cuvette de la buanderie par un caisson en bois percé, dans lequel se positionne le seau qui recueille les solides et les liquides: c’est le modèle de toilettes sèches le plus simple et le plus économique.  Depuis, bravant le froid de la pièce, nous l’utilisons chaque jour et c’est une poignée de copeaux, de paille ou de son qui fait disparaître les étrons. Les odeurs? Pas pire que des toilettes à eau. Le seau se remplit vite: au bout de trois jours, on le vide dans un caisson hors sol, compartimenté et fermé,  disposé en lisière du jardin. Quand un compartiment est plein, on remplit le second , puis on vide le premier dans un caisson à ciel ouvert où le processus de compostage se poursuit rapidement. Au bout d’une année, le compost est quasi mûr. L’OMS recommande d’attendre 18 mois avant de l’utiliser pour les cultures, mais sachant qu’il y a moins d’agents pathogènes sous nos climats que dans les latrines d’Afrique, on l’utilise plus rapidement, encouragé par sa bonne odeur d’humus.

Aux amis et visiteurs du jardin, nous montrons volontiers le fruit mature et nourrissant de nos fonctions intestinales. Les réactions sont très diverses. Il y a les polis qui sourient jaune, les dégoûtés qui font la grimace, les enthousiastes qui en redemandent. Et il y a bien sûr les sceptiques, qui brandissent les antibiotiques et les contraceptifs que le peuple ingurgite comme une bonne raison pour ne rien changer. Certes, le problème est réel, mais pour ma part, je pense qu’il est plus sûr de confier son obole à un sol bien vivant, où les microorganismes font des miracles en matière de décontamination, plutôt que de l’envoyer polluer les eaux et stériliser les truites. Quoi qu’il en soit, les arguments de la science et du bon sens font rarement le poids face au tabou du caca. Pour changer la donne, il faudra surtout réapprendre à le regarder en face, et alors seulement, nous pourrons le juger à sa juste valeur.

 

Texte(s): Aino Adriaens
Photo(s): Aino Adriaens