Bouffer l’égopode par les racines
Bouffer l’égopode par les racines

Ce week-end, j’ai tenté une expérience culinaire inédite: le spaghetti d’égopode aux petits légumes sautés. Kesako, me demanderez-vous? Et bien c’est une plante sauvage qui s’invite volontiers au jardin et s’y répand à la vitesse d’une fusée grâce à des rhizomes traçants d’une longueur et d’une effronterie inouïes.  Je suis sûre que bon nombre d’entre-vous la connaît et peste comme moi quand elle s’immisce dans les massifs ornementaux, s’enfile entre les racines des vivaces, galope le long des planches qui bordent le potager et pointe victorieusement ses premières feuilles entre deux légumes. On ne peut pas à proprement parler de plante invasive, au même titre que la renouée du Japon ou le chiendent pied de poule: l’égopode podagraire, ou herbe aux goutteux, est une espèce bien de chez nous qui fréquente assidument les sous-bois mais prend aussi ses aises dans les situations plus ensoleillées. Au jardin par exemple.

Dans le mien, elle semble y être depuis toujours et tolère difficilement que je veuille lui restreindre son espace vital au profit d’autres espèces végétales. Au début, je lui ai livré une guerre acharnée à grand renfort de grelinette: il s’agit de faire remonter ses rhizomes à la surface, puis de les tirer délicatement sans les casser, car chaque petit bout qui reste dans le sol est une nouvelle plante en puissance…  Mais c’est peine perdue: les tiges repoussent de plus belle dès qu’on a le dos tourné.  Avec le temps, la sagesse et la permaculture qui m’invite à travailler avec la nature plutôt que contre elle, j’ai  baissé la garde. L’égopode a aujourd’hui le champ libre en bordure du jardin, en couvre-sol au pied des haies et autour des tas de compost. Son feuillage est d’ailleurs d’un vert très frais, qui plus est bon comestible au printemps et capable en été de tenir à carreau les orties. Au potager et dans les vivaces par contre, je le tiens à l’œil. A la belle saison, j’arrache ses feuilles pour en faire du mulch entre mes plantations, ce qui le fatigue quand même un peu. Et en hiver, j’extirpe du mieux possible ses rhizomes à chaque fois que je creuse un trou, divise des vivaces ou désherbe mes platebandes. C’est ce que j’ai fait samedi, à quatre pattes entre mes buissons de petits fruits.

Résultat des courses: un énorme tas de filaments plus ou moins blancs et une rage au ventre qui m’a donné envie de me les passer sous la dent! J’ai donc consacré encore un bon moment à démêler la pelote, à nettoyer les rhizomes les plus tendres et à récolter quelques jeunes feuilles. Poilés avec une échalotte émincée et 2-3 carottes en julienne, mes spaghettis d’égopode avaient assez belle allure. Pas de quoi pavoiser pour autant: si la saveur est plutôt agréable, la texture est du genre ultra fibreuse. Preuve est ainsi faite que l’égopode est un coriace jusqu’au fond de l’assiette.

 

Texte(s): Aino Adriaens
Photo(s): Antoine Lavorel, Aino Adriaens