La permaculture se joue aussi dans la cour des grands
La permaculture se joue aussi dans la cour des grands

Par le hasard du calendrier, je me suis trouvée jeudi dernier tout à fait dans l’actualité de Terre & Nature: alors que l’hebdomadaire faisait sa couverture de l’essor des microfermes en Suisse romande, je participais à la troisième rencontre proposée par le Groupe d’intérêt microfermes & permaculture du FIBL, qui réunit régulièrement sur le terrain une bonne trentaine de porteurs de projets (lire aussi billet du 9 septembre 2019 et découvrir le tout nouveau Réseau Terreau Microfermes ).  Rendez-vous était donné à la ferme des Bottés, à la sortie de Rances (VD). La surprise était générale car devant la nouvelle et gigantesque serre et l’apparente banalité des parcelles environnantes, il était difficile d’y voir un projet agroécologique original et un peu fou fou auquel la permaculture commence à nous habituer. Et pourtant, son esprit était bien là…

En chiffres, la ferme des Bottés existe depuis tout juste une année, couvre deux hectares loués pour 30 ans -dont 5000 m² sous une serre à un million de francs-, et espère produire et livrer 350 paniers de légumes bio/semaine auprès des entreprises de la région yverdonnoise. Elle occupe deux personnes employées à plein temps et en engagera 5 autres à la belle saison. Contrairement à bon nombre de microfermes en cours de création,  ce projet ambitieux n’émane pas de jeunes paysans sans terres ou d’un collectif de néoruraux désireux de changer de vie. Son initiateur a les reins solides puisqu’il s’agit de Sylvain Agassis, directeur du Domaine des Bottés à Essert-sous-Champvent, une entreprise florissante qui produit sous serre depuis 2008 des légumes bio au label Demeter.

«Le but de la ferme de Rances est de produire une gamme beaucoup plus diversifiée de légumes et de privilégier la vente directe, et donc le contact avec les consommateurs.  C’est aussi une façon de réduire notre dépendance au jeu de la guerre des prix que livre la grande distribution» explique Thibaut Damery, le chef de culture qui nous fait la visite. «Notre première année a été très difficile. On aurait dû commencer à plus petits pas, car on a beaucoup à apprendre, autant au niveau technique que de la vente. Notre priorité est maintenant de soigner le sol, qui a beaucoup souffert lors de la construction de la serre. Entre les lignes de légumes, on teste le BRF, la paille projetée, les nattes en amidon de maïs et bientôt le papier kraft. Notre objectif est de travailler le moins possible le sol et de privilégier des outils manuels, hormis un petit motoculteur. » Lowtech donc, même dans une serre ultramoderne chauffée par les calories perdues de l’installation de biogaz de la ferme voisine.  «On souhaite aussi créer des petites buttes et des planches de culture permanentes, mais c’est un énorme travail». On se rapproche encore un peu plus de la permaculture quand, sur les parcelles extérieures, Thibaut Damery nous montre les paillis, le grand bassin de récupération d’eau de pluie et  évoque les bandes fleuries, nichoirs et haies champêtres à venir. Côté humain aussi, le modèle de l’entreprise est innovant: les décisions sont prises à 60 % par les collaborateurs, la mixité est privilégiée, les conditions de travail sont améliorées grâce à des outil ergonomiques, et un bonus est partagé entre tous à part égale en fin d’année.

Conviviale et passionnante, cette visite m’a pas mal ébranlée. Honnêtement, je me sens beaucoup plus en phase avec des projets de taille et d’ambition plus modestes, avec des investissements minimes, rapidement amortis et aussi moins coûteux en énergie grise, mais il faut de tout pour changer le monde… Et surtout, pour que les microfermes et les alternatives aux modèles conventionnels soient prises au sérieux, il faut prouver qu’elles peuvent être rentables économiquement et source d’une meilleure qualité de vie. A la ferme des Bottés, cela semble bien parti.

 

Texte(s): Aino Adriaens
Photo(s): Aino Adriaens