Hugin et Munin
Hugin et Munin

A peine entré dans la forêt, alors que je marche sur le sentier qui me rapproche de la falaise, j’entends trois brefs et puissants croassements qui retentissent dans le ciel, au-dessus de ma tête. J’aperçois aussitôt, à travers les frondaisons, la silhouette sombre à la longue queue cunéiforme du grand corbeau. Il n’a pas mis beaucoup de temps à me débusquer!

Il faut dire que l’oiseau est d’une vigilance à toute épreuve et que ce n’est certainement pas un hasard si Odin l’a choisi comme messager. Hugin et Munin (la pensée et la mémoire) survolent le monde et viennent relater chaque jour leurs observations au puissant Dieu de la mythologie nordique, lui conférant ainsi son omniscience.

J’accélère le pas pour rejoindre au plus vite mon poste d’observation, choisis un emplacement qui me permette d’observer dans une trouée de la forêt et pointe mon télescope sur l’autre versant de la gorge. Assis au pied d’un vieux fayard et grâce à la distance, je me fais oublier des corbeaux. Je repère leur imposant nid de branches, établi sur une vire de la paroi baignée de soleil.

Lors de ma dernière visite, le 9 avril, la femelle couvait encore et j’ai eu la chance de voir lors d’un relais, le mâle prélever dans la cuvette du nid les restes de coquilles d’un œuf turquoise fraîchement éclos et les ingérer. J’ai donc la date de naissance d’un des poussins.

Presque quarante jours plus tard, je découvre quatre gros jeunes avachis dans la cuvette du nid. De l’amas informe de plumes noires émergent des becs imposants. La voix d’un adulte résonne soudain et provoque une grande agitation. Les jeunes s’animent et regardent tous dans la même direction. Les becs ouverts comme des entonnoirs rouges, ils espèrent recevoir bientôt leur provende.

L’adulte est soudain sur la vire, dépose rapidement de la nourriture dans le premier bec venu et s’envole aussitôt. Je peux contempler maintenant les quatre jeunes qui sont dressés. Exceptées quelques parties du plumage qui paraissent encore laineuses et les commissures roses au coin des becs, ils ont presque la taille et l’apparence des adultes. Le temps de l’envol et de la découverte du vaste monde est tout proche…

Texte(s): Pierre Baumart
Photo(s): Pierre Baumart