Double cas de conscience
Double cas de conscience

Où étais-je assis ? Là, vers ce tas de bois ? Non, il me semble que l’arbre auprès duquel j’avais déposé mon sac était plus grand et qu’il y avait des ronces. Peut-être ici. Ou plutôt là, vers la souche. Après quelques hésitations, je reconnais enfin l’emplacement depuis lequel j’avais observé la veille.

Il faut dire qu’il fait encore nuit ce matin dans la forêt et que l’affût doit être installé précisément si je veux dessiner les autours. Seule une petite fenêtre dans les frondaisons permet l’observation de l’aire.

Malgré l’heure hâtive, je perçois un peu d’agitation sur le nid. Les trois poussins doivent avoir faim.

Alors que je guette patiemment le premier nourrissage de la journée, j’entends soudain du bruit dans les feuilles mortes. En levant mes jumelles, je découvre, émerveillé, un faon hésitant qui s’avance prudemment dans le sous-bois, contourne un arbre et disparaît. L’observation, de courte durée, me laisse sur ma faim…

Les jeunes autours, encore blancs et laineux, s’agitent sur l’aire. Quelques cris résonnent et soudain la femelle est là, posée sur le nid. Elle amène un oiseau de bonne taille, sans doute un geai, qu’elle dépiaute aussitôt et distribue délicatement à ses poussins. Une dizaine de minutes plus tard, elle s’envole.

Après quatre heures d’affût et un second nourrissage, je décide de m’en aller. En quittant la place discrètement, je contourne un arbre et butte sur la petite merveille couchée par terre à son pied. Le faon n’est pas parti bien loin, il s’est blotti dans une cuvette de feuilles.

Que faire ? Me voilà à découvert, proche d’une aire d’autours, debout à côté d’un faon apeuré ! J’hésite, car j’ai bien conscience du dérangement que j’occasionne, mais la tentation est trop forte de pouvoir dessiner une fois dans ma vie un petit chevreuil dans de telles conditions.

Je m’assieds à côté du faon et lui chuchote des excuses tout en sortant mon bloc. Durant dix bonnes minutes je le dessinerai, en levant de temps en temps les yeux vers l’aire des rapaces pour m’assurer qu’aucun adulte ne s’y trouve. Il est temps maintenant de partir.

Je me lève tout doucement, recule, récupère mes affaires et quitte le bois. Les autours ne se sont pas manifestés et le petit faon retrouvera sa mère dans un moment, j’en suis certain.

Texte(s): Pierre Baumgart
Photo(s): Pierre Baumgart