Incroyables martinets noirs

Posé sur mon balcon, après le souper, je profite de la température qui devient enfin supportable. La douce lumière du soir teinte d’ocre les murs de l’immeuble. Les nuages roses, illuminés par le coucher de soleil, se reflètent sur les vitres de la façade en hémicycle, dont les stores ne sont pas baissés.

Dans le ciel, un groupe de martinets noirs vole de manière désordonnée. A l’œil nu, on dirait un essaim de moucherons. Peu bavards, ils sont sans doute en chasse. Quelques oiseaux tournent à la hauteur des bâtiments voisins dont les sous-pentes des toits abritent des nids.

A intervalles réguliers, six ou sept oiseaux accordent leur plan de vol et passent en escadrille à une vitesse prodigieuse, en rasant les façades. Dans une ronde effrénée, ils passent à proximité des nids encore occupés, en poussant des trilles continus qui résonnent dans la cour.

Une anfractuosité dans la plus haute cheminée de mon immeuble abrite une nichée. J’aimerais tant apercevoir la tête d’un jeune qui viendrait à guigner et qui sait, peut-être s’envoler ce soir?

Peu après 20 heures 30, un adulte vient se percher sur le mur en crépi et rentre au nid discrètement. Il passera la nuit avec ses jeunes. L’envol ne sera pas pour ce soir…

Le groupe de martinets prend maintenant de l’altitude et se déplace insidieusement. Encore quelques sifflements et le ciel se taira. Les oiseaux vont s’élever à plusieurs milliers de mètres  pour aller dormir en vol ! Seuls quelques adultes et les jeunes encore au nid dormiront posés.

Je surveillerai le nid, ces prochains soirs, pour tenter d’observer un envol, car le moment du grand saut dans le vide est imminent. Chez les martinets c’est une étape assez incroyable puisque dès lors, le jeune volera dans l’azur pendant presque deux ans, sans se poser! Ce très long périple l’amènera à errer dans les cieux africains où il chassera les gros insectes au-dessus de la savane, frôlant le cou d’une girafe ou rasant l’échine d’un éléphant. Un jour, il rentrera de voyage avec des congénères en quête d’un site de nidification. Il se posera alors pour la première fois de sa vie sur un mur, peut-être celui de ma maison…

Texte(s): Pierre Baumgart
Photo(s): Pierre Baumgart