Du Groenland au quai Wilson
Du Groenland au quai Wilson

Déambulant le long du quai, mon attention est attirée par un petit oiseau qui se déplace comme un jouet mécanique, parmi les colverts et deux cygnes qui se reposent au bord de l’eau. Le corps rondelet monté sur des pattes fines, il arpente la frange littorale du lac, en fourrageant dans les interstices des pierres, de son bec court et arqué, en quête de menus gastéropodes.

Je m’assieds par terre et l’observe à l’œil nu tentant de saisir cette forme qui bouge sans arrêt.

J’identifie sans peine le bécasseau maubèche dont le plumage gris finement écaillé m’indique son âge juvénile. Si la présence d’autres espèces de bécasseaux telles que le minute ou le variable, n’est pas inhabituelle à cette saison, les apparitions du bécasseau maubèche sont parcimonieuses à l’intérieur du continent. Un vent fort l’aura dévié de son axe migratoire qui, des terres arctiques l’amène habituellement sur les côtes atlantiques.

Assis en tailleur depuis un moment déjà, je décide d’ôter mes chaussures et de tendre mes jambes pour sentir la fraîcheur de l’eau. Le jeune bécasseau est toujours dans le secteur. Il va et vient, très affairé. Il se rapproche maintenant, passe à côté de mon pied, longe ma jambe et me contourne, sans montrer le moindre signe d’inquiétude !

Ce sont les brusques battements d’ailes d’un cygne qui vont l’effaroucher. Il s’envole et se repose un peu plus loin, sur un muret, à côté d’une dame qui mange un sandwich. A sa manière de le fixer, je vois bien dans mes jumelles qu’elle est surprise par cette rencontre.

Elle ne peut pas s’imaginer que le petit oiseau qui vient se poser si près d’elle, n’a jamais rencontré d’êtres humains! Le limicole ingénu est né sur une côte du Groenland il y a quelques mois seulement. Il a sans doute fait ses premiers pas sur une grève, à proximité de morses qui se prélassaient!

Je quitte les lieux et traverse la ville pour retourner à mon atelier.  En attente, devant le passage piéton d’un carrefour à grosse circulation, je repense à cette rencontre incroyable que je viens de vivre. Quelle chance d’être approché et même ignoré par un oiseau sauvage. J’ai le curieux sentiment d’avoir entrouvert la porte du Jardin d’Eden!

Texte(s): Pierre Baumgart
Photo(s): Pierre Baumgart