L’omblière du Château
L’omblière du Château

Mandaté par le Musée du Léman pour dessiner les poissons des aquariums, en vue d’une nouvelle signalétique, je me retrouve devant celui des ombles, dont la vitre circulaire évoque le hublot d’un sous-marin de la famille Piccard. C’est à son bord, dans les profondeurs du lac que l’on a pu étudier ces poissons en hiver, sur les frayères. Des souvenirs remontent à la surface, car j’ai eu la chance de participer, il y a une vingtaine d’années, à une des dernières campagnes de terrain du vénérable bathyscaphe.

On largue les amarres du F.-A. Forel qui stationne devant le somptueux Château de Chillon.  Assis à l’étroit dans cet espace confiné, nous commençons la descente, comme dans  un ascenseur. Les chiffres d’un compteur indiquent d’ailleurs notre progression vers les abysses. La couleur de l’eau s’assombrit et nous serons bientôt dans la nuit noire. La voix qui provient de notre contact radio se fait de plus en plus lointaine, avec un curieux écho.

Arrivés à 78 mètres, nous touchons le fond. De puissantes lumières sont alors allumées et nous découvrons un paysage monotone, constitué de sédiments très fins, comme du sable.

Nous surprenons une lote que je peux dessiner avant qu’elle ne s’ensable. Elle ne paraît pas bien grande, pourtant Roger Thiébaud, notre commandant, l’estime à une cinquantaine de centimètres!  Le plexiglas épais du hublot déforme notre vision et à l’inverse d’une loupe, les objets semblent plus petits à mesure qu’ils s’éloignent.

En remontant en direction du château, nous arrivons sur la frayère: une zone d’éboulis dans une pente assez forte. Un poisson sort de l’ombre et apparaît dans la lumière. C’est un magnifique mâle d’omble chevalier! La couleur étincelante de son ventre orange et de ses nageoires, bordées d’un liseré blanc, semble irréelle dans cet univers terne. Cinq poissons tournent maintenant sur le site, dont le mâle qui suit une femelle, collé à son flanc. Au paroxysme de son excitation, il déploie soudain ses nageoires et se met à vibrer, comme s’il était parcouru par un courant électrique.

Malheureusement, nous devons laisser ces chevaliers à leurs amours, car il est déjà temps de remonter vers le château.

Texte(s): Pierre Baumgart
Photo(s): Pierre Baumgart