du côté alémanique
Bientôt des perches et des sandres lucernois dans nos assiettes!

Depuis l’an dernier, la porcherie de Christian Steiger, à Büron (LU), est devenue une pisciculture. Avec le soutien de Fenaco, l’agriculteur explore désormais un nouveau secteur de production.

Bientôt des perches et des sandres lucernois dans nos assiettes!

Il y a un peu plus d’un an, la porcherie de la famille Steiger, sur les hauts de Büron, fermait définitivement ses portes. Si Christian Steiger a regardé partir les derniers porcs avec un pincement au cœur – la ferme vivait de l’élevage porcin depuis quatre générations –, son esprit était déjà tourné vers un autre projet: en quelques semaines, sa halle d’engraissement allait être démontée, assainie et réaménagée afin d’y accueillir 20 bassins de 6500 litres et des milliers d’alevins. Sandres et perches remplaceraient porcs blancs et landraces. «Nous devions mettre la porcherie aux normes, et vu le contexte du marché, nous avons décidé d’abandonner et de revoir la stratégie de notre exploitation», explique le paysan lucernois.
Pêcheur passionné, Christian Steiger envisageait depuis quelque temps déjà de se lancer dans l’activité piscicole. Un premier projet avec Migros n’ayant pas abouti, c’est Fenaco qui l’approche alors. L’entreprise veut en effet tester le marché et cherche à lancer une installation pilote (voir l’encadré ci-dessous).

Ne rien laisser au hasard

En quelques mois, la ferme Chapf devient ainsi une pisciculture ultramoderne de 1 million de francs cofinancée par Fenaco. «C’est un modèle de production pilote, avec des exigences techniques plus élevées qu’une pisciculture standard, d’où un prix élevé», explique Janine Baumann, chef de projet chez Fenaco. Le système fonctionne en circuit fermé et peut produire 10 tonnes de poissons par an. Le quotidien de Christian Steiger, qui a effectué plusieurs semaines de stage à l’étranger afin d’acquérir les ficelles du métier, change alors radicalement. «Il y a énormément de paramètres sanitaires à contrôler en élevage piscicole, il faut être minutieux et précis.» Depuis l’automne dernier, le Lucernois passe donc presque autant de temps dans la halle de 400 m2, organisée en cinq circuits indépendants, que dans la salle de contrôle attenante, où il vérifie quotidiennement les paramètres de production: «Température, oxygène, pH: il ne faut rien laisser au hasard!» Un photomètre lui permet également de mesurer les taux de nitrites et d’ammonium de l’eau. «Je compte deux heures de travail quotidien et une journée par semaine de nettoyage et de tri des poissons.» Christian Steiger estime le temps consacré à cette activité à environ un millier d’heures par an. «C’est une activité technique, qui exige beaucoup de finesse. En définitive, ça me convient à merveille!»

Le défi du circuit fermé

À le voir manipuler avec délicatesse ses sandres et ses perches, on le croit volontiers. Si l’alimentation des poissons est automatisée dans chaque bassin, leur tri demande en revanche énormément de main-d’œuvre: au cours de leur croissance (environ sept mois), les poissons sont en effet manipulés à cinq reprises: «On rassemble régulièrement ceux de taille semblable dans un même bac. Ça demande un coup de main, rapide et délicat.» Si les perches semblent calmes et se laissent manipuler avec docilité, les sandres se révèlent assez sauvages et fuient au moindre bruit.
«À leur arrivée de la Belgique et la République tchèque, les alevins pèsent à peine quelques grammes et sont particulièrement sensibles. Les premières semaines d’élevage sont d’ailleurs les plus délicates, note encore Christian Steiger. À la moindre variation de température ou de qualité de l’eau, c’est la catastrophe. On a eu un taux de mortalité de 20% au début, mais la production est désormais parfaitement maîtrisée.»
Le maintien d’une qualité de l’eau irréprochable constitue en effet le grand défi d’un tel système piscicole en circuit fermé. Dans celui choisi par l’agriculteur, l’azote ammoniacal produit par les poissons, dont l’accumulation est toxique, est transformé en nitrates grâce à un filtre biologique contenant des bactéries aérobies épuratrices. «Travailler avec ces bactéries nous contraint à faire une croix sur l’usage d’antibiotiques», précise l’agriculteur. Un rayonnement ultraviolet vient à bout des bactéries et virus indésirables. «Finalement, seulement 5% de l’eau est renouvelée chaque jour. Et les eaux usées sont destinées à irriguer mes vergers et mes prairies.» La boucle est ainsi bouclée!

Texte(s): Claire Muller
Photo(s): Manuela Jans-Koch

Bon à savoir

Avec une consommation de 9,1 kg par personne et par an, les Suisses mangent peu de poisson en comparaison avec les 50 kg de viande consommés par habitant et par année. «La consommation de poisson a cependant bien augmenté, observe Janine Baumann, cheffe de projet chez Fenaco. Mais 95% des poissons que nous consommons actuellement sont encore issus de l’importation. C’est donc évident que la production piscicole indigène offre de réels débouchés.» Raison pour laquelle Fenaco explorer ce secteur, afin d’envisager une éventuelle filière à exploiter par les paysans suisses. «Nous avons lancé un projet pilote chez Christian Steiger, en guise de test à la fois technologique et commercial, poursuit Janine Baumann. Nous n’avons en effet que peu d’expérience en Suisse en la matière et ne savons pas encore concrètement quel sera l’accueil qui sera réservé à ces produits, par les distributeurs et les consommateurs.» Fenaco entend ainsi accumuler du savoir-faire afin de le diffuser auprès des exploitations qui pourraient à leur tour se lancer dans cette nouvelle activité piscicole. «Nous poursuivrons l’aventure si et seulement si l’exploitation pilote est rentable et fonctionne, précise encore Janine Baumann. Pour nous, il est cependant hors de question de voir se développer des modèles de production quasi industriels. Nous voulons offrir la possibilité à des paysans de se diversifier.»