Sous le stratus, l’humeur est morose. Autant prendre de la hauteur, et c’est vite fait avec le funiculaire qui relie Vevey à la station touristique du Mont-Pèlerin, sur la commune de Chardonne (VD). À proximité immédiate de la Riviera et de la Veveyse fribourgeoise, régions fort habitées, ce sommet du Plateau suisse offre un bol d’air forestier quasi alpestre. Culminant à 1084 mètres d’altitude, au-dessus du village de Chardonne, dont les vignes font partie du vignoble de ­Lavaux, le Mont-Pèlerin se gagne toutefois à la force du mollet. Il en faut pour rejoindre le chalet Volet à travers bois. Une belle grimpe sur des sentiers balisés qui nous hisse en direction de l’antenne de la tour émettrice Plein Ciel. Sans toutefois pousser jusqu’au sommet, nous tournons définitivement le dos au Léman pour suivre une crête forestière dont les trouées offrent un point de vue toujours plus panoramique sur la Veveyse fribourgeoise et les Préalpes.
Du Mont-Pèlerin, nous gagnons son prolongement naturel, le Mont-Cheseaux et les alpages de la commune de Puidoux. En été, la buvette est un havre de fraîcheur et de convivialité. En hiver, il n’y a guère plus que de petits poneys pour nous accueillir dans les prés recouverts de givre. Aimanté par la découpe nette du Moléson sur fond de ciel bleu, le regard se tourne maintenant vers la mer de brouillard qui s’étend jusqu’à Genève et où émergent, telles des îles, les sommets des Alpes de Savoie. Étonnantes perspectives, à la croisée des bassins rhénan et rhodanien. Mais ne perdons pas le rythme. D’un bon pas, nous entamons une première descente de palier qui nous rapproche du stratus.

Plongée sur l’adret lémanique
À la hauteur des premières fermes de Puidoux, nous atteignons la limite entre le brouillard et le soleil. Une atmosphère féerique, où les branches des arbres forment un bel ouvrage dentelé sur fond clair-obscur. De plats en replats, à travers des chemins creux, sur des chemins sinueux, nous retrouvons les flancs du Mont-Pèlerin. Une petite bise s’est levée, chassant parfois les nuages et nous offrant de belles ouvertures sur le Léman. Au hameau de Cremières, comme au lieu-dit Popra, la vue plongeante sur le Haut-Lac donne l’illusion que nous sommes en pleine nature. Comme si l’urbanisation des rives et coteaux lacustres n’était qu’un vieux rêve. Nous descendons à nouveau d’un étage: peu après avoir franchi le passage du ruisseau des Gonelles, nous prenons congé des forêts du Mont-Pèlerin pour gagner le vignoble et sa vue panoramique. Les toits de Chardonne apparaissent toujours plus nombreux. Dans les hauts du village, en Panessière, nous retrouvons le soleil qui réapparaît sous l’effet d’une petite bise glacée. Le centre du village a conservé son caractère vigneron. Ils sont d’ailleurs encore nombreux, ici, à produire un vin au bénéfice des «trois soleils» de Lavaux: le soleil du ciel, le soleil du lac, avec son effet miroir, et le soleil des murs en pierres sèches. Le soir venu, la chaleur emmagasinée est restituée à la vigne, qui aime ça. Et nous aussi en cette froide journée d’hiver où le soleil, soudain voilé, se fait une fois encore désirer. Peu après le restaurant Au Bon-Vin, de l’autre côté de la route cantonale, le sentier de la Chenalette nous conduit jusqu’à Vevey, quitte à longer un instant les rails du funiculaire. À Beau-Site, peu avant Corseaux et ses coquets jardins, le vacarme de l’autoroute nous ramène à cette vie trépidante que le Mont-Pèlerin a le don de faire oublier le temps d’une balade. L’air de rien, nous avons près de 17 kilomètres dans les jambes. Et, surtout, l’impression d’avoir voyagé sur l’atlas suisse romand.

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