vaud, Chablais

Balade dans une montagne chahutée

À mi-chemin entre le village de Luan et le col de Tompey, une forêt reprend vie sur un éboulis provoqué par un véritable cataclysme. En 1584, un séisme projeta la montagne de l’Orvaille dans la plaine du Rhône.

Le beau domaine boisé qui grimpe à l’assaut de parois rocheuses dominant Luan semble attendre notre bon vouloir. D’en bas, rien ne laisse deviner qu’au cœur de ce paysage d’apparence sereine se cache l’empreinte d’un éboulement meurtrier. À la fin du XVIe siècle, il détruisit le village de Corbeyrier, et partiellement celui d’Yvorne, tuant une centaine d’habitants. Peu après le chalet du pâturage de Luan, le sentier se coule en boucles sinueuses dans la réserve forestière qui occupe ce flanc de montagne si particulier de l’Orvaille.
Pouvoir observer de quelle façon la nature reprend ses droits, comment elle panse ses blessures après un phénomène destructeur est un privilège. Sur cet éboulis de roches de faible taille orienté plein sud, l’eau s’enfuit dans le sol et la végétation peine à prendre racine. Certains des arbres actuels auraient d’ailleurs colonisé le pierrier quelques années après le désastre mais, en raison de l’aridité du sol, leur taille modeste trompe sur leur âge. En bordure du chemin qui mène à Plan Falcon, des plantes pionnières occupent le pierrier. Des espèces animales s’y plaisent aussi. Notre progression volontairement lente et un pied léger nous permettent de repérer une vipère aspic. Ses pupilles opaques, annonciatrices d’une mue, altèrent sa vue, mais son odorat la renseigne sur le randonneur en plein effort et elle disparaît rapidement.

Un silence bienfaisant
C’est en atteignant le lieu-dit Plan Falcon que l’on réalise l’ampleur de la masse de terre et de roches que le violent séisme de 1584 a précipité vers la plaine. Le replat qui en a résulté est vaste. Et le silence qui y plane aujourd’hui ressemble probablement à celui qui a dû succéder à l’évènement. Nous nous perdons alors dans la contemplation de ce beau relief où se tiennent des chamois. Nous tentons d’imaginer les puissants mouvements ayant mené à la création de ces élégantes strates de roches plissées avant que la terre ne soit prise de convulsions, les déstabilise puis les bouleverse. Nous comprenons que ce site unique et majestueux soit un terrain d’investigations passionnant pour des élèves de la Haute École pédagogique vaudoise. L’institution crée actuellement un nouveau sentier didactique. Il proposera des activités destinées aux étudiants aussi diverses que l’écoute d’un paysage sonore, la recherche des traces du temps ou le Landart.
À l’ombre bien agréable d’une forêt de grands épicéas, nous reprenons notre ascension en direction du col de Tompey. L’herbe se fait haute dans le pâturage. Des fleurs colorées et d’élégantes ombellifères accueillent une foule d’insectes. Survolant la crête de La Chaux, un aigle royal est agressé par des faucons. Simple échancrure dans le relief herbeux qui nous fait déboucher dans la vallée de l’Hongrin, le col de Tompey n’a rien d’extraordinaire en soi. Si ce n’est sa vue magnifique. Entre le mamelon du Sex du Parc aux Feyes et celui des Paccots, le bassin lémanique s’étale sur toute sa longueur.

Une martre égarée en plein jour
Le retour à Luan nous réserve une surprise exceptionnelle. Un petit mammifère au pelage sombre se coule furtivement entre les arbres. Une martre! En plein jour… En août, la quête d’un partenaire ou celle de nourriture par une femelle avec portée justifierait le passage de ce mustélidé avant tout nocturne.
Quelle journée bien remplie! De retour à Yvorne, notre route traverse le vignoble. Juste revanche de l’homme face à un phénomène naturel violent, c’est sur le cône de déjection d’un éboulement vieux de plus de quatre siècles que prospèrent aujourd’hui les vignes produisant parmi les meilleurs crus vaudois.

Texte(s): Daniel Aubort
Photo(s): Daniel Aubort/Infographie Pascal Erard

infos pratiques

Y aller

En transports publics
En train, arrêt d’Aigle sur la ligne CFF du Simplon, puis service de bus entre Aigle-Gare et Luan. L’arrêt du Café de Luan est à 200 mètres du départ de cette balade.

En voiture
Sortie Aigle sur l’autoroute Lausanne-Sion, prendre Yvorne, Corbeyrier, puis continuer jusqu’à Luan. Quelques places de parc réparties dans le hameau et à ses abords.

Le parcours

Parcours de difficulté facile à moyenne de 2 h 30 de marche effectives, pour une longueur de 5,5 km et une dénivelé de +/– 500 m. Tracé aller-retour entre Luan (1250 m) et le col de Tompey (1750 m), avec possibilité de boucle vers le lieu-dit Plan Falcon. Carte de l’OFT au 1:2500 No 1264 Montreux.

Se restaurer

Le Café de Luan. Cuisine savoureuse et plats originaux dans un cadre des plus agréables. Ouvert du mercredi au dimanche. Tél. 024 466 81 15

Se renseigner

Sentier Alplab de Luan de la HEP (Haute école pédagogique) Vaud: www.lessentiers.ch. La réserve forestière de Luan:
www.agittes.ch