Au fil du chemin qui s’élève progressivement dans la pente boisée dominant Vuiteboeuf apparaissent des vestiges historiques de valeur internationale: une ancienne voie à ornières taillées
dans la roche. Hommes, chars à boeufs et diligences l’ont suivie. Des voyageurs, des troupes armées mais également des convois de marchandises ont emprunté durant des siècles ce franchissement tortueux et parfois dangereux du Jura. C’était l’une des routes du sel, une Via Salina, longtemps placées sous le contrôle de Leurs Excellences de Berne. Ce produit précieux
était alors acheminé en Suisse depuis les salines de Franche-Comté.

Après 45 minutes d’une ascension légère, les points 3 et 2 de la voie à ornières réservent le meilleur au promeneur. Les profonds sillons destinés à guider les roues des chars se prolongent sur plusieurs dizaines de mètres. Puis, il y a cet étonnant lieu de rencontre. Une succession de plusieurs voies parallèles qui se côtoient de près. L’imagination s’enflamme dans ce sousbois qui abrite ces vestiges. Elle laisse entrevoir des hommes qui attendent, la rencontre des attelages. Ceux qui descendaient vers le Plateau suisse croisaient ici le chemin de ceux qui se dirigeaient vers la France. Des heures de passage devaient être établies sur ce tracé ne permettant pas aux chars de croiser ailleurs. Plus loin encore, dans une élégante courbe du chemin, on devine l’empreinte de marches taillées entre les ornières afin de faciliter la progression des animaux de trait dans les plans les plus inclinés. Si ces rails patinés par le temps sont d’une beauté prenante, ils laissent aussi entrevoir les risques encourus par temps de pluie, le chemin côtoyant un ravin.

Une entaille bien cachée
Arrivés au poste No 1, nous quittons la voie historique en quelques zigzags et empruntons un sentier pour rejoindre une piste plus large en contrebas. Sur la gauche, derrière un cordon d’arbres, se devine le sommet des falaises qui surplombent l’Arnon. À cette époque de l’année, la floraison des érables à feuilles d’obier illumine d’un vert pâle la mosaïque d’une forêt encore peu feuillue. On aimerait suivre longuement ce chemin de terre agréable porteur de traces qui laissent espérer quelques grands mammifères, mais c’est rapidement par un autre raidillon que l’on atteint le point culminant de cette randonnée: le lieu-dit Château de Sainte-Croix, à 985 mètres d’altitude.

Une dizaine de minutes suffisent alors pour rejoindre l’entrée des gorges de Covatannaz. Au bruissement des feuilles mortes s’ajoute celui d’un ruisseau, de plus en plus présent. Cette amorce à la descente est un plaisir en soi. Peu après quelques sauts et cascades de la rivière, un goulet se profile. Au coude de ce défilé apparaît l’entaille des gorges de Covatannaz qu’on ne  soupçonnait pas aussi larges. Coulant au pied des parois verticales, l’Arnon a façonné des coupelles, des marmites aux formes arrondies. Un lent et inexorable polissage de la roche dont les particules de calcaire, emmenées par le courant, reconstruisent un peu plus bas dans le vallon, par un amusant jeu de vases communicants, d’épaisses colonnades de tuf qui bordent le chemin.
Dans le jeu d’ombres et de lumières printanier, les feuilles de sceaux-de-Salomon animent le bois. Le velours sombre de pervenches pourpres les cache dans la végétation basse. En franchissant une dernière passe, les premiers toits du village de Vuiteboeuf apparaissent. Le village aussi semble vouloir échapper à l’attention, comme protégé par un petit vallonnement
de ce cadre remarquable qu’est le pied du Jura vaudois.