Le printemps a pointé le bout de son nez plus tard qu’ailleurs dans la vallée de Conches. Les troupeaux commencent à peine à prendre possession de leurs pâturages et les géraniums font enfin leur sortie, égayant d’un rouge vif les sombres façades des chalets brunies par le soleil. En ce début de saison, sur les sommets, la neige est encore bien là, empêchant l’accès aux sentiers de randonnée. Qu’importe, la vallée qui s’étend entre Niederwald et Oberwald sur 17 km regorge de sentiers thématiques, certes plus courts et moins sportifs que des excursions en altitude, mais qui permettent de découvrir les secrets de la région.

Münster et ses greniers
Chacun des douze villages de Conches mériterait que l’on s’y arrête, tant ils recèlent de trésors culturels, entre les quelque 70 églises et chapelles baroques et leurs clochers blancs élancés, sans compter les anciennes maisons et étables en bois parfaitement conservées. Dans ce paradis pour les amateurs d’histoire, c’est à Münster, centre géographique de la vallée, que notre itinéraire débute. Dans ce bourg qui s’étale sur le flanc ouest d’un gigantesque éboulis, les bâtiments noircis tranchent avec le vert tendre des pâturages alentour. Après un détour par l’office du tourisme, où l’on nous fournit quelques dépliants très instructifs – et bilingues – sur la région, nous voilà partis pour un véritable voyage dans le temps, sur le sentier culturel (Kulturweg) débutant sur la place du village. Une douzaine de bâtisses figurant à l’inventaire du patrimoine national et régional sont à découvrir dans ce village évoqué pour la première fois en 1221. Maisons traditionnelles, païennes, de la renaissance ou baroques: du XVIe au XXe siècle, à chaque époque correspond un style architectural, parfaitement mis en valeur.
Le long du torrent qui descend de l’Ober­aarrothorn, où passe la frontière entre les cantons de Berne et du Valais, d’anciens greniers à foin présentent encore leur cage d’escalier en bois, leurs pignons extérieurs et leurs perches, permettant de faire sécher le foin à l’extérieur. Les granges sont de loin les édifices les plus impressionnants: montées sur pilotis, soutenues par de grosses pierres rondes, elles reposent sur un soubassement à deux étages. La plupart de ces bâtiments ont été rénovés dans le respect du style et de la vocation originels. Ainsi, les ouvertures historiques, laissant entrer lumière et chaleur, sont entièrement vitrées et visibles de l’extérieur. Sans malheureusement pouvoir pénétrer à l’intérieur, on quitte Münster et ses richesses pour remonter le Rhône en empruntant un sentier surplombant la voie de chemin de fer.

La légende du muletier Baschi
Si la ligne ferroviaire Brigue-Andermatt dessert chaque heure tous les villages de la vallée, il vaut cependant la peine de parcourir à pied le tronçon qui relie Münster à Geschinen. Rien de tel pour se rendre compte de l’immensité de cette vallée où l’homme doit perpétuellement lutter contre la nature. Le danger vient non seulement des hauteurs – avalanches, coulées de boue –, mais aussi de la reforestation persistante des coteaux, qui menace les terres cultivables. Par chance, les exploitations agricoles sont encore nombreuses et les troupeaux de vaches et de moutons permettent de garder un paysage très ouvert.
Geschinen en est l’exemple parfait: son emplacement et son organisation très dense ont justement été déterminés par les couloirs d’avalanche. Dans le village, il faut se laisser guider par le sentier culturel, qui nous conduit de grange en maison, de grenier en chapelle. Immanquable, sur la place du village, la statue du géant «Weger Baschi»: ce muletier vécut ici au XVIIIe siècle et entra dans les légendes valaisannes en raison de sa force sur­humaine – on raconte qu’il portait ses mules épuisées à travers les cols!
C’est en train que nous poursuivons notre itinéraire, en direction d’Obergesteln. Sur le flanc sud de la vallée, au milieu des prés, on a tôt fait de repérer d’innombrables rectangles sombres, parcelles de terre fraîchement retournées et vouées à la culture de pommes de terre et de céréales. De 20 hectares il y a cinquante ans, il ne reste désormais plus que 4 hectares cultivés sur ce coteau. Dans ces pentes raides et ce climat extrême, sur des surfaces ne dépassant pas les 230 m² par parcelle, le travail est essentiellement manuel. Malgré ces difficultés, une poignée de familles paysannes accomplit l’exploit de produire des grandes cultures à 1350 m d’altitude.

Du blé sous les sommets
Pour ceux qui voudraient en savoir plus, le sentier thématique des cultures, Rundweg Ackerkulturlandschaft, débute à quelques minutes de marche de la gare. L’itinéraire serpente entre ces microparcelles, séparées par des haies, des bouleaux et des mélèzes, véritable refuge pour les insectes et les papillons, mais aussi pour les cerfs qui viennent régulièrement visiter les cultures.
Une fois cette boucle d’une bonne heure achevée, il ne nous reste plus qu’à reprendre le train pour rejoindre Münster. Encore calme, la vallée compte d’innombrables hôtels et restaurants – fermés pendant l’entre-saison – qui seront pris d’assaut d’ici quelques semaines. On ne peut s’empêcher de penser au fameux César Ritz, premier à développer l’hôtellerie de luxe en Suisse, et né ici, à Conches! L’année prochaine marquera d’ailleurs le centenaire de sa mort et de nombreuses festivités seront organisées pour cet anniversaire. L’occasion peut-être de revenir faire un tour dans cette vallée tout à la fois humble et riche, dotée de tant de petits bijoux du patrimoine.