Le soleil miroite dans les remous, s’amuse de cascades et de petits rapides alors que nous longeons la rive gauche de l’Areuse pour rejoindre les berges du lac de Neuchâtel. Bien que canalisée dans son cours intérieur, la rivière offre un cadre idéal de promenade. Ainsi qu’un chemin pour les truites qui la remontent pour frayer en hiver. Là, c’est un groupe de harles bièvres qui occupent tout la largeur du cours d’eau. De redoutables pêcheurs facilement reconnaissables à leur bec, dont l’extrémité est recourbée.

Les charmes hivernaux du lac
Près de l’embouchure de l’Areuse, quelques petites embarcations sont amarrées. Des ailerons fuselés attirent soudain notre attention. De grandes truites fendent la surface, tournoient autour des bateaux, avant de repartir entre deux eaux avec cette grâce nonchalante qui leur est coutumière. À six kilomètres de là, sur la rive opposée du lac, une brume tenace recouvre encore largement le Plateau suisse. Impossible de voir les Alpes. Ce sera pour plus tard, espérons-le.
À la plage de Boudry, des silhouettes habillées de noir émergent des eaux. Les plongeurs reviennent peut-être d’un étonnant jeu de piste. Invisibles du bord, des objets parfois insolites sont éparpillés à quelques encablures. Des épaves de petits bateaux, des sculptures de dragon et de requin, ou encore une baignoire et un téléphone sont dissimulés par l’eau. Louvoyant successivement entre la forêt riveraine et un bord du lac envahi, par endroits, d’une fine frange de roseaux, le chemin jusqu’à Colombier est d’autant plus plaisant à suivre que le soleil gagne enfin sa bataille sur la brume. Au lieu-dit le Robinson, la ville de Neuchâtel se présente sous un angle que seul le village de Colombier peut offrir. Et les sommets mythiques de l’Eiger, du Mönch et de la Jungfrau font enfin leur apparition.

L’envol des poissons
Notre retour sur Cortaillod par le même chemin nous réserve encore la surprise d’un plumage rutilant. Poisson dans le bec, un martin-pêcheur se pose sur un arbre sec.  Sur l’Areuse, un pont piétonnier permet de remonter la rivière par sa rive droite. En cette fin de journée, le soleil éclaire la berge sur laquelle s’accrochent des arbres au réseau de racines lavé par les crues. En quelques minutes, nous atteignons le «Saut de la truite». Avec sa cascade, sa passe à poissons et les panneaux placardés sur ses murs, l’établissement piscicole de Cortaillod nous apprend presque tout du cycle biologique de la truite, et notamment sa migration en rivière pour gagner les frayères. À cette époque de l’année, l’endroit se prête à une tentative de photographie du poisson en train de bondir. Si l’exercice est passionnant en soi, convenons qu’il est aléatoire de vouloir saisir au vol des truites dont rien n’annonce l’élan puissant qui les rend capables de franchir un obstacle. Comme pour faire diversion, un autre habitué de la rivière vient juste de se poser sur une roche émergente: le cincle plongeur. La turbulence des eaux en aval de la cascade est propice à sa pêche aux larves et aux crustacés aquatiques.
Le ciel s’embrase soudain dans notre dos. Nous ne résistons pas au plaisir de retourner sur nos pas afin d’admirer une fois encore les rives du lac. Dans la lumière du soir, voiliers et cygnes glissent sans bruit devant la chaîne des Alpes teintée de rose. Debout dans sa barque, un pêcheur reste immobile. Le célèbre peintre vaudois du Léman François Bocion aurait probablement été inspiré par cet élégant tableau.