Spécial 120 ans
Avec son test à la bêche, il a participé à l’avènement du bio en Romandie

Chaque mois, nous partons à la rencontre d’une personnalité qui a marqué le monde agricole romand ces cent vingt dernières années. Gerhard Hasinger a accompagné les paysans bios pendant plus de vingt ans.

Avec son test à la bêche, il a participé à l’avènement du bio en Romandie

Tous les paysans romands qui se sont reconvertis à l’agriculture biologique de 1980 à 2000 l’ont forcément vu passer à un moment ou à un autre sur leur exploitation. Avec ses conseils avisés, son accent bavarois et sa fidèle bêche, Gerhard Hasinger a accompagné pendant plus de vingt ans les agriculteurs bios de Delémont à Sierre. La bêche qui l’accompagne partout est plus qu’un outil; c’est une véritable alliée dans la quête de reconnaissance pour des sols vivants que Gerhard Hasinger a menée tout au long de sa carrière. Car pour cet agronome aujourd’hui basé en Gruyère, «le sol est comme l’océan, un écosystème hypercomplexe où cohabitent des milliers d’êtres vivants et qu’il faut mieux appréhender».

Du Niger à la Gruyère

Gerhard Hasinger est né en 1944 près de Munich, dans une famille d’imprimeurs. À 26 ans, après des études en physique expérimentale, il réalise un tour du monde au cours duquel il rencontrera sa future épouse, gruérienne. Avec elle, il tiendra sept années de suite un alpage entre la Dent-du-Bourgo et celle du Chamois. En parallèle, il effectue un CFC d’agriculteur à Grangeneuve (FR), à l’issue duquel il part faire du développement agricole au Niger, dans le massif montagneux et aride de l’Aïr. Il y aidera les populations touaregs à améliorer leurs systèmes d’irrigation.
À son retour en Suisse, en 1982, Gerhard Hasinger pose ses valises à Pringy (FR) et intègre la Haute École d’agronomie de Zollikofen (BE) «C’est l’époque où l’on passe du productivisme à l’agriculture intégrée. On commence à comprendre que l’azote et des phytos ne nous rendront pas invincibles.» Lui se prend de passion pour la vie des sols et leur complexité, sensible aux phénomènes d’érosion, de compactage de battance et convaincu que «le sol n’est pas qu’un substrat. Son diplôme en poche, le FiBL, fraîchement créé et qui participe alors à un programme national de recherche sur l’utilisation des sols, l’embauche. Il devient le premier conseiller spécialisé en agriculture biologique à sillonner les campagnes romandes. «Ma première mission a été d’appliquer le cahier des charges bio en homogénéisant les pratiques agronomiques.» Il se frotte aux pionniers du bio, ces «résistants au productivisme qui tous cherchaient des pistes agronomiques pour se passer des intrants chimiques». Il travaille main dans la main avec Beat Waber, Bertrand Rime, Wolfgang Wawrinka, François-Philippe ­Devenoge, Urs Gfeller, Michel Chaubert, des producteurs devenus aujourd’hui des références dans le monde du bio. En parallèle, il poursuit un travail de recherche sur la vie des sols et développe son fameux «test à la bêche». «Ce n’est rien d’autre que de la pédologie appliquée aux exploitations agricoles. En creusant à 45 cm de profondeur, on comprend mieux les bobos dont souffrent les sols, notamment dans les horizons inférieurs, sous la partie labourée.» La démarche de Gerhard Hasinger est simple en apparence, mais participe à changer le rapport des exploitants à leurs sols. «Réaliser des analyses en laboratoire est certes utile, mais encore faut-il les interpréter au regard de l’enracinement des cultures, de la décomposition des résidus de récolte, des éventuelles galeries de vers de terre…»

Percer les mystères du sol

Arrivent les années nonante, synonymes d’avènement politique et commercial du bio. Gerhard Hasinger participe à la reconnaissance officielle par l’Office fédéral de l’agriculture. «Une sacrée victoire, apprécie-t-il aujourd’hui, sourire aux lèvres. Les rêveurs, les spirituels, devenaient du jour au lendemain de véritables professionnels qu’il fallait écouter.» Puis la grande distribution décide à son tour de miser sur l’écologie. «La demande augmentant, il nous a fallu structurer le marché.» Il participe à la création des associations bios cantonales et intègre en 1996 le Service romand de vulgarisation agricole, qui deviendra Agridea, où il chapeautera, jusqu’à sa retraite en 2006 les conseillers bios, élaborant des fiches techniques et aidant à professionnaliser toujours davantage l’agriculture biologique. Passionné et toujours en quête de percer les mystères du sol, il poursuit des travaux de recherche avec l’Université de Neuchâtel. N’ayant jamais caché son engagement pour une agriculture durable et équitable, Gerhard Hasinger a fondé il y a douze ans l’association Notre Panier bio qui livre des paniers de produits Bourgeon à plus de 600 ménages fribourgeois.

Texte(s): Claire Muller
Photo(s): Marcel G.