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Avec ou sans cornes? La question refait surface

Le 25 novembre, le peuple se prononcera sur l’initiative «Pour la dignité des animaux de rente ­agricoles», dite des «vaches à cornes». Mais d’où vient la pratique de l’écornage, qui a de tout temps été controversée?

Avec ou sans cornes? La question refait surface

Dans moins d’un mois, les Suisses devront voter sur l’initiative dite «des vaches à cornes». Accepteront-ils de rémunérer les paysans qui choisissent de ne pas écorner leurs bêtes? Le sujet peut sembler risible, il n’en est en fait rien. Cette pratique – portant atteinte au bien-être et à la dignité des animaux pour certains, assurant la sécurité des bêtes et des exploitants pour les autres – a été décriée dès son apparition en Suisse. Elle remonte aux années septante. Des éleveurs américains commencent alors à ôter les cornes de leur bétail, gardé dans des stabulations libres, afin d’éviter que les animaux ne se blessent ou meurtrissent leurs soigneurs. Parfois confinées dans moins d’espace, les vaches se servaient de leurs cornes pour établir une hiérarchie au sein du troupeau, ou simplement pour se frayer un chemin parmi leurs congénères, les éraflant au passage. «En Suisse, l’écornage s’est répandu avec l’essor des vaches allaitantes», raconte Daniel Flückiger, porte-parole de Vache Mère Suisse. Mais la méthode n’a jamais fait l’unanimité, ni auprès des agriculteurs ni auprès du public.

Généralisation en vingt ans
En janvier 1986 déjà, le vétérinaire vaudois Samuel Debrot rappelait dans un article du Sillon romand que dans les années 1950, «certains reprochaient aux experts des concours de bétail de donner davantage de points pour les cornes que pour les mamelles». Il s’étonnait que, deux décennies plus tard, ces jolis attributs aient souvent purement et simplement disparu. Il redoutait alors que les vaches, sans leurs moyens de défense, ne se blessent à coups de tête, causant de graves lésions internes.
Le débat en est resté là, la sécurité des éleveurs a pris le dessus, mais pas seulement. Enlever les cornes des vaches a permis d’accroître le nombre de têtes détenues dans une stabulation libre – l’espace accordé à un animal écorné étant diminué d’un tiers – assurant ainsi un meilleur revenu aux exploitants. Ces derniers ont aussi constaté que les bêtes étaient plus calmes. Certains estiment même que ces opérations représentent une modernisation de leur métier. «L’écornage s’est vraiment généralisé dans les années 1990», note Florie Marion, porte-parole de l’Office fédéral de l’agriculture (OFAG). La question n’en est pas moins restée fortement émotionnelle. En 2010, l’association de protection des animaux KAGfreiland relançait en effet le débat, comparant l’écornage à une mutilation. Cette année-là, le comité de Hornkuh, à la base de l’initiative soumise au vote, interpellait la Confédération. En vain. Elle lancera la recherche de signatures quatre ans plus tard.

La génétique à la rescousse
Au fil des ans, la méthode de l’écornage a aussi évolué. L’article 32 de l’ordonnance actuelle sur la protection des animaux précise qu’il ne peut être pratiqué que durant les trois premières semaines de vie de la bête, par des personnes spécialement formées et sous anesthésie locale. «Nous avons intégré ce module dans le cursus de 3e année du CFC d’agriculteur, note Pierre-André Odiet, responsable de la formation à la Fondation rurale interjurassienne. L’apprenti qui obtient ce CFC est donc habilité à pratiquer l’écornage dans sa ferme, sous la surveillance d’un vétérinaire, puis, après validation par ce professionnel, de manière indépendante.»
Aujourd’hui, les vaches à cornes ont presque disparu des campagnes. «On estime aujourd’hui que 80% des animaux de rente du pays sont écornés, ajoute Florie Marion. Ce taux comprend aussi les bêtes nées naturellement sans cornes.» Est-on allé trop loin par principe de précaution? Les initiants et Bio Suisse le pensent, soulignant que «les cornes sont importantes pour les comportements sociaux, la formation de la hiérarchie et les soins corporels» des animaux. Il existe cependant une alternative à cette opération, douloureuse pour le bétail et chronophage pour les éleveurs: choisir des races qui en sont dépourvues dès la naissance, «comme les angus», explique René Bucher, de Swissgenetics. Les entreprises d’insémination artificielle proposent en effet des taureaux à la tête nue, les «polled». Swissgenetics en propose 91 dans son catalogue, parmi ses 1400 reproducteurs. «Ils sont de plus en plus prisés, note René Bucher. Nous faisons l’élevage de ces taureaux selon la demande, il n’en existe pas pour toutes les races.»

Texte(s): Céline Duruz
Photo(s): DR

Cornes ou Bois?

Les cornes d’un taurillon et les bois d’un chevreuil sont totalement différents, souligne l’Institut de recherche de l’agriculture biologique (FiBL). Les bois du chevreuil sont des os morts qui tombent chaque année puis  repoussent. Les cornes des bovins sont en revanche formées par de la peau, dans laquelle pousse un cornillon. Elles sont irriguées par des vaisseaux sanguins, contiennent des nerfs et grandissent en continu. Le seul ruminant ayant des cornes à la naissance est la girafe. La corne du rhinocéros est quant à elle en réalité une excroissance de la peau, comme celles des ongles et des cheveux.

Questions à...

Christine Bühler, présidente de l’Union suisse des paysannes et des femmes rurales (USPF)

L’USPF a annoncé la semaine dernière être contre l’initiative pour la dignité des animaux de rente agricoles. Pourquoi?
À nos yeux, la sécurité des agriculteurs, mais aussi celle des animaux, prime l’amour que l’on porte à nos bêtes. Le risque de blessure est réel.

Il n’existe pas de statistique sur ces accidents. Est-ce vraiment plus sûr de travailler avec des bovins écornés?
Oui. Nous avons commencé à le faire il y a trente ans, quand nous avons construit une stabulation libre. Sans cornes, les vaches sont plus calmes et aucune étude ne démontre que leur bien-être, comme celui des chèvres sans cornes, soit diminué. Cette pratique, réalisée dans les règles de l’art, est une évolution qui nous a permis de travailler plus efficacement, afin de pouvoir gagner notre vie.

Pensez-vous que le bien-être de l’animal passe par ses cornes?
Si une vache n’est pas bien, elle ne produit pas beaucoup de lait. D’ailleurs la mise en place des stabulations a permis de leur donner plus de liberté, conformément à la loi sur la protection des animaux.  Les personnes voulant soutenir les produits réalisés avec le lait de vaches à cornes peuvent déjà acheter des denrées labellisées Demeter qui sont sur le marché.