Agriculture
Avec les semis, les planteurs suisses de tabac retrouvent l’optimisme

Malgré une récolte 2021 amputée d’un gros tiers en raison de la météo et la sortie de huit exploitations de la filière, celle-ci garde le cap. Et croit à une meilleure année pour une culture qui reste rentable.

Avec les semis, les planteurs suisses de tabac retrouvent l’optimisme

Il fait un soleil radieux sur la Broye fribourgeoise. À Frasses, non loin d’Estavayer-le-Lac, Patrick Maendly profite des conditions idéales pour semer son tabac. Non pas que les minuscules graines aient à redouter la pluie durant leurs premières semaines de croissance: nichées dans leurs bacs de polystyrène expansé flottant sur un bassin rempli d’eau disposé dans un tunnel, elles sont à l’abri des intempéries. Mais une météo favorable, outre qu’elle contribue à la bonne humeur des semeurs, incite l’agriculteur à l’optimisme.

Certes, la tâche reste délicate, comme les graines de tabac. «Je table sur environ 20% de pertes par plateau de 240 graines, confie Patrick Maendly. Mais l’hydroculture flottante permet une économie considérable de temps et d’efforts.» Le semoir mécanique mis à disposition pour l’après-midi par son collègue Martial Bersier contribue encore à augmenter l’efficience de chacun; il ne faudra que trois heures à la famille Maendly pour semer tout son quota de graines.

 

Le Virginie en augmentation

Depuis 2021, relayant la demande de l’industrie, le Broyard a échangé 200 ares de Burley contre une surface équivalente de Virginie, sur les 2,4 hectares de tabac spécifiés par son contrat. Un autre motif pour lui d’aborder cette saison avec confiance: «L’an passé, le Virginie s’en est beaucoup mieux sorti que le Burley, note-t-il. Et en m’équipant de fours pour le séchage de ce tabac blond, j’ai pu libérer la place qui me manquait pour le Burley dans mon hangar.»

Spécialiste en production végétale à Agridea et vulgarisateur tabacole, Jean-François Vonnez mise, lui aussi, sur une meilleure saison qu’en 2021. «Si l’on n’a atteint que 65% de la quantité moyenne de ces dix dernières années, c’est surtout à cause des pluies qui ont retardé la plantation et ultérieurement le développement des racines, relève-t-il. Les conditions de ce printemps vont être décisives. Pour l’heure, on est sur du sec, voire du très sec.» Si huit producteurs, sur 129, ont jeté l’éponge après la dernière récolte (soit quatre fois plus que les sorties «ordinaires» de la filière), Jean-François Vonnez espère qu’une bonne année sera à même de ralentir la tendance. Et compte, entre autres, sur une meilleure efficience du travail de désherbage qu’exige le tabac, d’autant que le plan de réduction des produits phytosanitaires de synthèse implique un effort non négligeable en ce sens de la part des tabaculteurs. «Nous avons effectué une démonstration de herse étrille qui a beaucoup intéressé les producteurs, alors qu’ils n’y croyaient pas vraiment, se réjouit-il. Les planteurs sont donc en train de s’organiser entre eux pour disposer de la base technique nécessaire.»

«Le sarclage est important, dès les premiers jours après la plantation, et la herse étrille semble effectivement une alternative intéressante autorisant un travail plus en finesse et en surface, à même d’éliminer les adventices plus petites et plus jeunes, approuve Patrick Maendly. On pourrait donc envisager un passage de moins, sur les trois qui sont généralement nécessaires. Et avec les céréaliers en bio ou en production intégrée présents dans la Broye, il y a plusieurs machines à disposition.»

 

Du pain sur la planche

Un travail qui sera à faire dans quelques semaines, au plus tôt à la mi-mai («le tabac, c’est simple: on sème le 10 mars, on plante le 10 mai et on récolte le 10 juillet», rit Jean-François Vonnez). Avant ça, les tâches ne vont pas manquer: une fois que les germes seront sortis de leurs graines microscopiques et seront devenus pousses, il faudra régulièrement les tondre – cinq ou six fois, précise Patrick Maendly – pour les «freiner» et surtout leur donner de la vigueur et leur permettre d’épaissir avant leur plantation en pleine terre. Finalement, chaque hectare de tabac exige entre 1000 et 1500 heures de travail. Pas de quoi décourager Patrick: «Je suis dans le tabac depuis tout gamin. Mes grands-parents en cultivaient déjà! C’est sûr, la charge est importante, mais c’est une culture intéressante en soi, et le fait de travailler sur des contrats définissant surfaces et quantités apporte une sécurité appréciable.»

Texte(s): Blaise Guignard
Photo(s): Blaise Guignard

Questions à Fabrice Bersier, président de SwissTabac

Quels sont les facteurs pouvant inciter à l’optimisme en ce début de saison tabacole?

D’abord, la météo favorable de ce mois de mars, bien sûr. Et les hausses de quotas décidées par la filière pour tenir compte des difficultés de 2021: suite aux résultats de production très faible de l’année passée, les producteurs se sont vue attribuer des augmentations de kg/ha pour cette future récolte. De ce fait, cela donne à très court terme des perspectives positives et permettra de maintenir les structures actuelles des fermes tabacoles..

Culture de niche, le tabac reste-t-il rentable?

Si l’on considère le nombre d’heures de travail par hectare (ndlr: 1000 à 1500), la rémunération n’est pas énorme. Mais le tabac offre une excellente valeur ajoutée à la culture de petites surfaces. Au cours des années, il a ainsi contribué à maintenir en vie des domaines de dimension modeste, à l’instar d’autres cultures spéciales, notamment maraîchères. C’est loin d’être négligeable, en particulier dans une région comme la Broye, où le nombre d’exploitations agricoles a régulièrement diminué.

La tendance à limiter la consommation de tabac a-t-elle réellement un impact sur sa culture en Suisse?

Oui et non. Certes, la production indigène ne couvre que 4% des besoins de l’industrie implantée en Suisse, mais la filière est financée pour partie par une redevance perçue sur chaque paquet de cigarettes. Le risque demeure donc présent.