agriculture
Avec le brevet, la paysanne dispose d’un outil pour forger son avenir

Le brevet fédéral de paysanne apporte aux femmes actives sur des exploitations agricoles des savoir-faire en économie familiale, des connaissances d’économie et de droit ainsi qu’un réseau d’échanges.

Avec le brevet, la paysanne dispose d’un outil pour forger son avenir

C’est une année bien remplie pour Nadine Frossard Goy. La jeune femme vient d’obtenir son brevet fédéral de paysanne; elle a ouvert son espace de vente directe à la ferme et elle est maman d’une petite fille depuis quelques mois. Originaire de Delémont (JU), Nadine «tombe dans l’agriculture» en rencontrant David. Le jeune couple reprend l’exploitation familiale de Vufflens-la-Ville (VD) en 2011. Juriste indépendante, Nadine s’occupe dès lors de la comptabilité et de l’administration de la ferme. «Malgré cela, je n’y connaissais pas grand-chose en droit rural et en comptabilité agricole. J’avais envie d’acquérir un peu d’expertise pour participer à la vie de la ferme et développer le secteur vente directe. Le brevet de paysanne offrait une formation continue idéale.» Comme elle, une centaine de femmes passent les examens du brevet en Suisse chaque année, dont une petite dizaine de Romandes (voir l’encadré ci-dessous). Muriel Chassot, de La Tour-de-Trême (FR), est présidente de l’Association fribourgeoise des paysannes. Bien qu’elle ait grandi dans une ferme, ce brevet a été pour elle l’occasion «de comprendre un peu mieux ce qui se disait autour de la table familiale»: «J’avais un CFC de boulangère-pâtissière, mais lorsque je me suis mise en ménage, je n’avais pas les bases pour entretenir ma maison. Les différents cours m’ont beaucoup aidée.»

De la cuisine au droit rural
En effet, la formation modulaire (voir l’encadré ci-contre) comporte tant des cours d’intendance que du droit ou de l’économie. «Entre le cours «famille et société», où on nous encourage à nous affirmer, à défendre notre rôle, et celui où l’on apprend à panosser, deux mondes se côtoient. Mais c’est une réalité», relève Sandra Demont, une mère de trois enfants qui a travaillé quinze ans dans les assurances privées et gère, avec son mari Patrick, le Domaine des Saugealles, à Lausanne. Selon leur parcours de vie et leurs aptitudes, certaines femmes ont trouvé «un peu offusquant de repasser une chemise d’homme pour l’examen» tandis que d’autres ont acquis «des conseils pratiques pour le quotidien».
Monique Tombez, qui exploite avec son mari une ferme foraine à Moudon (VD), a fait partie de la première volée du brevet, en 1996. «En suivant ces cours, j’espérais surtout rencontrer d’autres paysannes et j’ai été servie. Cette formation m’a ouvert les yeux sur l’incroyable diversité des exploitations agricoles romandes. Selon la branche de production, la localisation et la famille dans laquelle on est, la situation des paysannes varie beaucoup. Et cependant, nous faisons aussi toutes face aux mêmes difficultés.» Une mise en réseau, une forme de solidarité, un espace d’échange que toutes les participantes ont appréciés.

Une meilleure reconnaissance
Suivre les différents modules de cours nécessite un important investissement en temps. Mais, toutes les participantes le confirment, le brevet fédéral de paysanne participe à la reconnaissance du travail qu’elles accomplissent sur l’exploitation. Les enjeux liés au statut de salariée ou de coexploitante de même que l’importance des assurances sociales sont abordés. «Personne n’aime s’y préparer, mais quand ça va mal en raison d’un divorce ou d’un décès, les femmes peuvent se retrouver en grandes difficultés», souligne Monique Tombez, qui est aussi vice-présidente de l’Union suisse des paysannes et des femmes rurales. Sur les 158 800 personnes employées dans l’agriculture en 2014, 37% étaient des femmes. La plupart d’entre elles sont mariées. La majorité ont un statut de personnes aidantes, sans revenu soumis à l’AVS. Concrètement, le brevet de paysanne donne accès aux paiements directs et aux crédits d’investissement. «Si j’avais voulu reprendre l’exploitation de mes parents, j’aurais fait un CFC d’agricultrice, précise Muriel Chassot, mais le brevet me suffira pour transmettre la ferme à nos enfants, s’il arrive quelque chose à mon mari.»
À l’issue des cours, les paysannes doivent réaliser un travail personnel. Il représente une belle occasion de concrétiser un projet en lien avec l’exploitation. Le Domaine des Saugealles écoule un quart de sa production annuelle de lait en vente directe. Sandra Demont a choisi d’étudier comment augmenter et diversifier leur assortiment de produits laitiers. Nadine Frossard Goy a, quant à elle, planifié l’ouverture du petit magasin dans lequel elle vend, entre autres, les farines et huiles de leur production. «Les Alémaniques sont depuis plus longtemps responsables d’initiatives apparues avec la diversification agricole, constate Monique Tombez. C’est peut-être pour cela qu’elles sont plus nombreuses à faire le brevet.»

+ d’infos www.ecuriedelavenoge.ch 

Texte(s): Marjorie Born
Photo(s): François Wavre

Bon à savoir

Le brevet fédéral de paysanne existe depuis 1995. Depuis 2004, le brevet est dispensé sous forme modulaire dans les centres de formation en économie rurale. En Romandie, ce sont la Fondation rurale interjurassienne, CILA Grangeneuve (FR), CEMEF Marcelin (VD), l’École d’agriculture du Valais à Châteauneuf. Le brevet comporte neuf modules obligatoires: entretien du linge et de l’habitat; gestion de l’habitat; famille et société; jardinage; alimentation et préparation des repas; mise en valeur des produits; droit rural; comptabilité agricole; économie rurale. S’y ajoutent deux modules à option en fonction des branches de production de l’exploitation. Les prérequis sont un CFC, une maturité fédérale ou un diplôme de culture générale et deux années de pratique dans un ménage rural, soit une exploitation agricole reconnue par l’octroi de paiements directs. La formation doit être terminée dans un délai de six ans. Elle coûte entre 10 000 et 14 000 francs, mais les personnes qui suivent tout le cursus et se présentent à l’examen final peuvent prétendre au subventionnement fédéral, lequel se monte à 50% des cours préparatoires.
+ d’infos www.agri-job.ch

Bon à savoir

Questions à Magali Briod, chargée des examens pour la Romandie

Combien de paysannes suivent la formation supérieure agricole menant au brevet?
En 2018, 144 ont obtenu leur brevet en Suisse, dont neuf Romandes. Actuellement, une cinquantaine de Romandes suivent des modules. La plupart se présenteront à l’examen final, ce qui n’est pas le cas en Suisse alémanique où plus de la moitié des participantes ne vont pas jusqu’au brevet. La formation y a toutefois plus de succès.
Qu’est-ce qui justifie les modules «Entretien du linge et de l’habitat» et «Préparation des repas» pour des femmes qui ont souvent déjà des années d’expérience et une famille à charge?
Le brevet de paysanne est une formation en économie familiale rurale, visant l’acquisition de compétences en production et en transformation de produits ainsi qu’en gestion d’une exploitation agricole et de son ménage. Les personnes qui disposent d’une première formation en intendance sont dispensées du module «Entretien du linge et de l’habitat». Celles qui pensent avoir les connaissances requises peuvent également s’inscrire directement aux examens.