Reportage
Avec ArboPhytoRed, le verger valaisan anticipe l’ère post-phytos

Réduire d’au moins 30% l’utilisation de produits phytosanitaires de synthèse, tel est l’objectif d’un projet inédit mené en Valais et auquel 16 exploitations arboricoles ont déjà adhéré. Exemple à Charrat.

Avec ArboPhytoRed, le verger valaisan anticipe l’ère post-phytos

L’année 2021 sera décidément à placer sous le signe des phytosanitaires. Ou plutôt de leur remise en question. Pendant que la Suisse s’écharpait ce printemps au sujet des deux initiatives – Eaux propres et Zéro pesticide –, la branche arboricole valaisanne, elle, se penchait sur la question suivante: peut-on produire des fruits sans avoir recours aux molécules de synthèse? Pour y répondre, les services cantonaux, l’Interprofession des fruits et légumes du Valais et Agroscope ont lancé un projet unique dans notre pays, impliquant en premier lieu les professionnels de la branche: «L’objectif d’ArboPhytoRed est de montrer qu’on peut réduire d’au moins 30% l’utilisation des produits de synthèse et à risque, sans perdre en rendement ni en qualité», expose Élodie Comby, l’agronome en charge de sa coordination.

Les participants à ce projet ont profité du programme «Ressources» de l’Office fédéral de l’agriculture, qui incite les producteurs à adopter une pratique culturale plus durable utilisant moins d’intrants: les principaux artisans d’ArboPhytoRed sont donc les arboriculteurs eux-mêmes, chargés de mettre en place des méthodes alternatives et qui doivent aussi assumer le risque d’un échec. Ce qu’ils y gagnent? Une compensation financière incitative de l’ordre de quelques milliers de francs par année, censée couvrir une partie des frais supplémentaires et des baisses de rendements éventuelles. «J’y vois surtout l’opportunité de gagner de l’expérience et des connaissances», confie Joël Bessard, l’un des seize arboriculteurs à y prendre part. «Les messages émanant de la société et les pressions politiques sont très clairs: nous devons changer de manière de produire, dit-il. Et, plutôt que d’y être forcé, je préfère anticiper et réaliser mes expériences, dès maintenant.»

Ni herbicides ni insecticides
En adhérant au projet ArboPhytoRed, Joël Bessard, qui exploite en famille un domaine de 47 hectares plantés en pommiers, poiriers, abricotiers et vignes à Charrat (VS), ne supprime pas tous les produits phytosanitaires de son plan de traitement, mais il cherche à les substituer par diverses mesures prophylactiques et méthodes de lutte alternatives (voir l’encadré ci-contre). Le producteur, âgé de 29 ans, a ainsi choisi d’explorer la voie du «Zéro insecticide» sur 2 hectares d’abricotiers depuis le début de la saison, avant même la floraison. «Contre le psylle, responsable de l’enroulement chlorotique, nous avons la possibilité de traiter au talc, technique de lutte bien connue des arboriculteurs bios, détaille-t-il. Les carpocapses peuvent être tenus à distance grâce à la confusion sexuelle, et les chenilles à l’aide du Bacillus thuringiensis. Restait cependant à maîtriser les pucerons. On savait qu’on prenait un risque, ça fait partie du projet.»

Finalement, si le rendement en abricots sur les deux parcelles a été 80% inférieur à une année normale, ce n’est pas la faute à un mauvais choix d’itinéraire technique ni aux pucerons, mais bien aux gelées de ce printemps qui ont provoqué de gros dégâts dans ses vergers. «Aucune perte de rendement n’est à signaler à cause de ravageurs», apprécie Joël Bessard, malgré cette année en demi-teinte. Mieux, le producteur a profité des observations réalisées sur ces parcelles pour réduire drastiquement les insecticides sur la totalité des surfaces plantées en abricotiers.

Une observation plus fine
«J’ai passé davantage de temps à observer mes arbres et j’ai effectué des contrôles plus fréquents, reconnaît Joël Bessard. J’ai acquis ainsi une connaissance plus fine dans l’utilisation des produits de substitution et j’oserai davantage diminuer le recours aux phytos.» Et le producteur de s’interroger ouvertement sur une transition vers le bio, à plus long terme. «Participer au projet est clairement un premier pas dans cette direction!»

La prise de conscience est réelle dans la stratégie de Joël Bessard. De quoi ravir Élodie Comby. «Le but du projet est de tester des méthodes alternatives, en étant accompagné. Et au final d’avoir un coup d’avance sur les évolutions du cadre réglementaire», poursuit la Valaisanne, qui ambitionne d’entraîner une cinquantaine de producteurs sur les six années que durera le projet. «Les bios sont également partie prenante, on leur permet de tester le «zéro recours au cuivre», un défi à part entière.»

À quand une valorisation?
Reste que le coût d’une telle démarche est important à l’échelle des producteurs: «Les produits de traitement bios sont nettement plus chers. Et l’investissement en temps n’est pas négligeable non plus», constate Joël Bessard. Si le projet ArboPhytoRed prévoit un dédommagement des participants, leurs récoltes issues des parcelles non traitées ne sont en revanche aucunement valorisées. Elles sont écoulées dans les filières conventionnelles. «La prochaine étape serait effectivement de créer une valeur ajoutée autour de cette production, via la création d’un label permettant de mieux positionner des fruits sans résidus par exemple, souhaite Élodie Comby. Les efforts techniques et les coûts supplémentaires occasionnés doivent être rémunérés par le marché, c’est une évidence!»

Texte(s): Claire Muller
Photo(s): Claire Muller /DR

Questions à...

Danilo Christen, chercheur à l’Agroscope Conthey (VS)

Quel est l’intérêt, pour vous, chercheur, de participer à un projet de vulgarisation «on farm»?
Avec un tel projet, on dispose d’un champ de travail bien plus large que notre laboratoire et notre verger d’essais. On peut ainsi aller beaucoup plus loin et étudier la globalité d’un problème comme la réduction des produits phytosanitaires, par exemple. Pour un scientifique, réaliser une étude «grandeur nature» lui permet d’être plus que jamais aux prises avec la pratique et pouvoir ainsi orienter encore mieux ses recherches à venir.

Quel est votre rôle dans le programme ArboPhytoRed?
Nous effectuons un suivi hebdomadaire des parcelles et des exploitations et en tirons des données à la fois quantitatives et qualitatives. Nous étudions évidemment les performances agronomiques (dégâts, populations de ravageurs, d’auxiliaires), environnementales (nombre d’interventions, quantité de matières actives) et économiques (rendement, qualité), mais aussi sociales (acceptation par les producteurs, gestion des pics de travail, réputation auprès des voisins, adhésion des consommateurs). La finalité du projet est d’obtenir un indicateur global de durabilité, dont la branche arboricole pourra se saisir afin d’en retirer, dans un deuxième temps, une valorisation commerciale.

Un engagement sur trois ans

La quinzaine de producteurs valaisans participant au projet ArboPhytoRed ont inscrit des surfaces – qui vont de 1 à 2 hectares – pour une durée d’au moins trois ans durant laquelle ils s’engagent à abandonner l’utilisation des herbicides et à supprimer de leur plan de traitement dès la fin de la floraison, au moins une autre catégorie de produits phytosanitaires comme les fongicides, insecticides, acaricides de synthèse ou produits à potentiel de risque particulier. «Les mesures alternatives qu’ils envisagent sont validées en concertation avec un conseiller, précise Élodie Comby. Nous menons un programme qui se veut certes ambitieux, mais pas irréaliste;
les producteurs ne doivent pas supporter un risque trop important.»

+ d’infos www.ifelv.ch