Reportage
Autonomie et vente directe sont de mise au cœur de l’Oberland bernois

Face au massif de la Jungfrau, Ueli von Allmen exploite un domaine de montagne accessible uniquement par téléphérique. Ces conditions particulières déterminent la conduite de son exploitation.

Autonomie et vente directe sont de mise au cœur de l’Oberland bernois
Perché à flanc de montagne, au-dessus de falaises vertigineuses, Gimmelwald (BE) semble tout droit sorti d’un guide touristique évoquant le pays d’Heidi. Ce village rural préservé situé au cœur de l’Oberland bernois nous plonge en effet dans un autre temps. Ici, aucune circulation, interdite, ne vient troubler le calme ambiant. Si les touristes du monde entier apprécient le cachet authentique de chalets aux façades centenaires, les agriculteurs locaux (ils sont sept) doivent composer avec des conditions d’exploitation difficiles.Planification indispensable
Bien que leurs domaines ne soient pas entièrement coupés du monde, seul un téléphérique permet cependant de les relier à la vallée de Lauterbrunnen. Une route carrossable, payante et soumise à autorisation, est certes praticable pendant quelques mois en été, mais la longueur du trajet est telle que cette option n’est privilégiée qu’en dernier recours. Le téléphérique du Schilthorn, construit en 1967, conditionne donc toute la vie de Gimmelwald.Ueli von Allmen, la quarantaine, a repris en 2010 le domaine de ses parents, baptisé Eschen. L’isolement influence directement la façon dont il le gère: ici, plus qu’ailleurs, une bonne planification est indispensable. «L’hiver dure longtemps, de mi-octobre à mi-mai, avec six semaines sans soleil, observe le Bernois. Je dois calculer au plus juste le nombre de bêtes que je garde en fonction des réserves de fourrage.» Pas question en effet d’imaginer acheter un rouleau de foin ou de la paille qui viendraient à manquer, car l’acheminement est tout simplement impossible. Quant au vétérinaire, il n’est pas pensable de compter dessus en pleine nuit, alors que le téléphérique est à l’arrêt.

Pour assurer le bon fonctionnement de son domaine, Ueli von Allmen a donc misé sur un mode d’exploitation quasiment autarcique, avec une diversification en matière de production animale. À l’exception d’un peu de paille hachée et d’aliment concentré, réduit au strict minimum, rien n’est acheté à l’extérieur.

Techniques ancestrales
Il fait appel en outre à des techniques ancestrales, telle l’utilisation de feuilles d’arbre comme litière exclusive pour ses veaux, ses moutons et ses chèvres. «Nous les récoltons à l’automne et les stockons dans de grandes fourres de tissu. Cette technique a l’avantage de produire peu de fumier, qui est difficile à stocker et évacuer ici.» Si les vaches laitières sont traites à l’alpage à la belle saison pour fabriquer le fromage Schiltalp, le paysan a dû trouver une solution pour écouler son lait en hiver. L’acheminement en plaine via le téléphérique n’est en effet pas envisageable, que cela soit en termes de coût ou de logistique. Le lait d’hiver sert donc à engraisser des veaux, sans que ceux-ci aient besoin d’autres compléments.

L’autonomie du Bernois ne se limite pas à la conduite de sa ferme. En effet, toute sa production, sans exception, est commercialisée en direct, sans intermédiaire. La construction en l’an 2000 d’un abattoir propre à la ferme, où Ueli von Allmen tue lui-même son bétail sous contrôle vétérinaire, a été une étape déterminante dans cette démarche. L’exploitant transforme ensuite lui-même les carcasses en diverses saucisses et viande séchée. Un fumoir artisanal leur donne un goût incomparable. «À part un autre agriculteur qui me livre ses bêtes, les cinq autres éleveurs du village doivent les descendre en téléphérique pour les faire tuer en plaine: une attraction pour les touristes qui se retrouvent avec une vache dans la cabine, mais des frais supplémentaires.»

Un panorama unique
Outre les produits carnés, Ueli et son épouse Doris vendent également du fromage fabriqué en été à l’alpage. Une cave accueille des dizaines de meules en cours d’affinage, du fromage de l’année à celui, vieilli, utilisé comme rebibes. Si la clientèle commande pour une part en direct à l’exploitation, plus de la moitié de la production est vendue sur le stand hebdomadaire que tient Doris à Mürren (voir l’encadré ci-contre), avec d’autres paysannes. «Je ne pourrais jamais envisager de tenir un domaine en plaine, note Ueli von Allmen. Le panorama hors norme sur le massif de la Jungfrau compense les difficultés du quotidien.»

Texte(s): Véronique Curchod
Photo(s): Véronique Curchod

En chiffres

Eschen, c’est…

  • 34 hectares en zone montagne 4, entre 1300 et 1800 m d’altitude.
  • 15 vaches laitières, 30 moutons, 10 chèvres et 12 poules.
  • 1 tonne de fromage d’alpage et de fromage de chèvre vendue par an, ainsi que du veau, de l’agneau et du chevreau, sous forme de viande fraîche ou de produit transformé.
  • 1983: l’achat de l’exploitation par les parents d’Ueli von Allmen, avec une conversion au bio en 1992 déjà.
  • 2000: mise en service de l’abattoir.

Les femmes du marché

Dans les années 1990, l’engouement progressif de la clientèle pour la vente directe a encouragé plusieurs femmes d’agriculteurs de Gimmelwald à unir leurs forces pour commercialiser la production de leurs exploitations et de leurs jardins. Le premier stand de marché s’est tenu en automne 1996 à Mürren (BE), le village voisin. Le succès rencontré alors a contribué à développer l’idée d’une présence plus régulière. Depuis lors, réunies sous le nom de Marktfrauen (les femmes du marché), elles proposent chaque lundi, de novembre à Pâques, un étal dans cette localité touristique. Divers fromages d’alpage, des saucisses sèches, de la viande séchée ou fraîche, des produits de boulangerie, de la confiture et du sirop font le régal d’une clientèle constituée principalement par les propriétaires de logements secondaires. La règle d’or est de vendre uniquement des produits locaux issus des exploitations de Gimmelwald.

+ D’infos   marktfrauen.ch