Reportage Exclusif
Au Zwilag, les déchets radioactifs suisses attendent le tombeau

Les déchets radioactifs des centrales nucléaires suisses convergent tous, à Würenlingen (AG), vers un unique centre de traitement et de stockage, qui nous a ouvert ses portes pour une visite unique.

Au Zwilag, les déchets radioactifs suisses attendent le tombeau

Enfermée dans un bloc de béton, à peine visible derrière la vitre translucide, une silhouette en combinaison s’active. Une lance à haute pression à la main, l’homme asperge une pièce métallique. Sous la pression de l’eau apparaît une mousse verdâtre. Elle est chargée en particules radioactives. Nous sommes dans les entrailles du Zwilag, pour Zwischenlager Würenlingen, le centre de traitement et de stockage des déchets issus des quatre centrales nucléaires suisses. Une véritable forteresse érigée en 2001, vers laquelle convergent plusieurs fois par an des conteneurs blindés contenant le combustible retiré des réacteurs.

Le dosimètre dans la poche
Tout à l’heure, pour entrer, il a fallu passer par un impressionnant dispositif de sécurité. Présenter une carte d’identité aux gardiens en uniforme, passer une blouse et un casque de protection, puis ôter chaussures et chaussettes pour enfiler une paire de savates blanches destinées à éviter tout déplacement de poussière. Enfin, nous avons empoché le dosimètre destiné à mesurer, en permanence, le taux de radioactivité ambiant.

Cette mise en condition intimidante effectuée, nous voilà à présent devant la cellule de conditionnement où sont traités les matériaux faiblement radioactifs. «Il s’agit d’équipements qui ont été utilisés dans l’une des centrales, note Roland Keller, porte-parole du Zwilag. Des conduites ou des outils, par exemple, qui se chargent en radioactivité au fil des ans.» Tout l’enjeu est d’isoler les particules radioactives du métal qui, lui, sera recyclé.

Derrière la vitre plombée, l’ouvrier continue de décaper sa pièce de cuivre, une portion de radiateur évacué de la centrale de Beznau. À voir la pile de caisses qui attendent le traitement, le travail s’annonce titanesque. Sous nos pieds, un bruit d’eau se fait entendre: «Deux centrifugeuses séparent les poussières de l’eau, qui passe dans une station d’épuration avant d’être rejetée dans l’Aar», explique Roland Keller. La matière radioactive, elle, est stockée dans des fûts. Pour suivre le trajet de ces tonneaux jaunes, il faut s’enfoncer dans les profondeurs du bâtiment. Dans un couloir dont le linoléum reflète la lumière glaciale des néons, nous longeons un réseau de tapis roulants qui permettent de réduire au minimum les manipulations des fûts radioactifs.

Plutonium sous haute sécurité
Plusieurs changements de direction mettent notre sens de l’orientation à rude épreuve. Seul un seuil métallique, conçu pour permettre à l’édifice de résister à un tremblement de terre, nous indique que nous passons d’un bâtiment à l’autre. Devant nous s’ouvre la porte du four à plasma. Dans cet appareil unique au monde, qui peut atteindre la température record de 20 000 degrés, les restes organiques sont immédiatement calcinés et les métaux fondent. La masse coule alors dans un conteneur où elle forme un bloc vitrifié, noir et luisant. Réduit de 80% de son volume, le matériau radioactif y restera pour quelques millénaires. Les fûts sont enfouis dans une halle voisine et recouverts d’une triple couche de béton.

Après les déchets faiblement radioactifs, place au combustible usagé. Si les sas bardés de caméras se succèdent, ce n’est pas pour rien: le plutonium qui résulte de la fission nucléaire entre dans la composition des armes nucléaires, ce qui pourrait attiser les convoitises. Un couloir en cul-de-sac constitue le seul point de vue sur la halle de stockage. Derrière les hublots dont le verre est épais de 40 centimètres, nous distinguons des dizaines de cylindres de métal. Pesant 140 tonnes chacun, ils sont entreposés ici en attendant le dépôt en couches géologiques profondes encore à l’étude. «Lorsque le combustible est retiré d’une centrale nucléaire, il lui faut du temps pour refroidir», note Roland Keller. Autrement dit, la fission se poursuit à l’intérieur du cylindre, qui continue de produire de la chaleur pendant… quarante ans. Dans la halle, la place ne manque pas. Le combustible usagé continuera d’être livré ici tant qu’il y aura des centrales nucléaires en Suisse. Sans oublier que la quantité de matériau à traiter pourrait exploser si le Zwilag est mandaté pour démanteler la centrale de Mühleberg (voir encadré ci-contre).

Fin de la visite. Direction la sortie et le portique de contrôle. Immobiles, nous attendons le verdict de l’appareil qui mesure le taux de radioactivité de chaque visiteur. «Drei… Zwei… Eins, grésille une voix artificielle. Vielen Dank. Keine Kontamination.»

Texte(s): Clément Grandjean
Photo(s): Clément Grandjean

en chiffres

Zwilag, c’est:

  • 80 employés.
  • 2 livraisons par an de combustible usagé issu des centrales nucléaires.
  • 6 ans, la durée d’exploitation d’une barre de combustible dans une centrale.
  • 30 à 40 ans sont nécessaires pour le refroidissement du combustible.
  • 25%, le taux d’occupation de la halle de stockage destinée au combustible usagé.

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