Du côté alémanique
Au pays du pinot, le blanc règne aussi

Encépagé aux deux tiers en pinot noir, le vignoble du Klettgau regorge de richesses œnologiques.À la tête du domaine familial Aagne, à Hallau, Stefan Gysel est l’un des meilleurs ambassadeurs de la viticulture du canton de Schaffhouse.

Au pays du pinot, le blanc règne aussi

Exposés plein sud, les 150 hectares de vignes du Klettgau se gorgent de soleil printanier. Protégés des intempéries venues du nord par la Forêt-Noire, ces coteaux frontaliers de l’Allemagne bénéficient d’un microclimat des plus favorables. Alors que la vigne y reprend gentiment vie, dans les caves, c’est le boom de l’embouteillage. «C’est l’un des plus beaux moments de l’année du vigneron, mais aussi celui où l’on est le plus sous tension! lance Stefan Gysel. C’est aussi le dernier moment où je peux modifier un assemblage, apporter une touche, corriger une note.» Alors, en cette veille de printemps, le vigneron schaffhousois multiplie les dégustations avant de mettre en flacon un assemblage de pinot blanc et de chardonnay qui a passé les dernières semaines en barriques. «Le soin à apporter aux vins s’est intensifié par rapport à la génération de nos parents. Auparavant, les clients étaient des buveurs, ils sont désormais devenus des connaisseurs. Des véritables pros pour certains! Ça nous pousse à faire toujours mieux.»
L’humilité est la marque de fabrique de Stefan Gysel. Son sacre de meilleur vigneron de l’année, obtenu il y a huit ans pour un pinot noir 2007, ne lui est jamais monté à la tête. En 2009, le grand public, tout comme une bonne partie des professionnels du monde ­viticole, découvrait alors un vigneron talentueux, mais surtout une région viticole méconnue: le Klettgau. En quelques années, le vignoble le plus septentrional de Suisse venait d’effectuer en toute discrétion une impressionnante mue qualitative. «Jusqu’à l’époque de nos parents, dans le langage populaire alémanique, on qualifiait de Hallauer un vin de cuisine ou de piètre qualité.»

Des lauriers à la pelle
Désormais, cette image appartient au passé. «Le mérite revient d’abord à mes parents», souligne Stefan Gysel. Irma et Erich ont été parmi les premiers dans leur région, au milieu des années nonante, à vinifier eux-mêmes, pour essayer de se sortir du marasme économique ambiant. «À l’époque, j’étais en apprentissage et, en guise de travail de diplôme, j’avais planché sur l’étiquette des bouteilles!» raconte le vigneron. Vingt ans plus tard, le pari de la famille est réussi. Leur enseigne Aagne est clairement devenue une référence dans le canton de Schaffhouse. «La distinction de 2009 a ramené des curieux, notamment les premiers mois. Mais nos ventes n’ont pas explosé pour autant.» Il a surtout servi d’étendard à toute une région, convaincue que son salut passerait par la qualité et l’œnotourisme (voir l’encadré ci-dessous).
Depuis 2009, Stefan n’a eu de cesse de continuer à améliorer ses crus. En témoignent les nombreuses récompenses décrochées, notamment pour son rosé, couronné d’or au Mondial des pinots l’an passé, ainsi que pour son riesling-sylvaner, deuxième au Grand Prix du vin suisse en 2015. «Ce cépage s’impose gentiment dans le vignoble schaffhousois. Pour nous, il s’avère idéal pour élargir la gamme des blancs et répondre ainsi à une demande croissante des consommateurs alémaniques.» Car Stefan Gysel ne commercialise ses vins qu’en direct, se refusant à ­céder aux sirènes de la grande distribution. Ce qui reste bien souvent une gageure, reconnaît-il. «Avant on n’avait pas droit de cité dans le milieu de la gastronomie. Les restaurants évitaient de mettre des vins suisses à leur carte! Désormais le vent a tourné. L’intérêt pour nos produits est grandissant.»

Une cave «deux en un»
Malgré la percée des pinot blanc, sauvignon, riesling, pinot gris et autre chardonnay dans le vignoble, chez Stefan Gysel comme dans le reste du canton, près de deux plants de vigne sur trois sont du pinot noir, localement appelé Blauburgunder. «C’est le cépage emblématique et historique de la région. Il se prête bien à nos sols argilo-calcaires et produit des vins intenses, alliant finesse et complexité aromatique.» Là encore, l’approche qualitative de Stefan Gysel et des vignerons de sa génération a permis de redonner à ce cépage ses lettres de noblesse. «Auparavant, on différenciait les pinots noirs par village, alors que la frontière passait au milieu du même parchet. Aujourd’hui, j’assemble les pinots en fonction de leur terroir pour en tirer le meilleur.» Le Schaffhousois propose désormais trois pinots noirs différents à sa carte: un classique, qu’on peut boire tôt dans la saison, une vendange tardive et un pour la garde, élevé en barrique.
Formé à l’école d’œnologie de Wädenswil (ZH) il y a une quinzaine d’années, Stefan Gysel y a rencontré sa future épouse, ­Nadine Saxer, une fille de viticulteurs zurichois, avec qui il travaille désormais main dans la main. Depuis l’an dernier, les crus de leurs deux domaines sont vinifiés à Neftenbach (ZH), par souci d’efficacité, dans une cave flambant neuve creusée sous le vignoble, un petit bijou architectural. Mais les époux gèrent leur domaine et leur vinification indépendamment, avec leur propre sensibilité. «À Winterthour, les sols sont sablonneux, les précipitations abondantes. Leur riesling a effectivement un peu plus de fruit, reconnaît Stefan Gysel. Mais dans le Klettgau, une des régions les plus sèches de Suisse, avec nos sols lourds et profonds, nous produisons des pinots noirs avec davantage de corps.»

+ D’infos Avec une délégation de vignerons schaffhousois, Stefan Gysel viendra faire déguster ses crus à l’occasion d’Arvinis, du 26 avril au 1er mai prochain à Montreux. www.arvinis.ch

Texte(s): Claire Muller
Photo(s): Claire Muller/DR

Le domaine Aagne, c’est:

12,5 hectares de vigne, plantés moitié rouge moitié blanc.
70 parcelles dispersées dans le vignoble du Klettgau.
Un peu moins de la moitié du domaine est encépagée en pinot noir.Le reste en merlot, cabernet sauvignon, riesling-sylvaner, sauvignon blanc, chardonnay et pinot blanc.
+ D’infos www.aagne.ch

L’avenir du vignoble passe par le tourisme

Mais qu’y a-t-il diable d’autre à visiter que les chutes du Rhin dans le canton de Schaffhouse? Les vignobles, bien sûr! Depuis quelques années, les viticulteurs se sont d’ailleurs lancés dans le tourisme afin de faire connaître la région et ses atouts œnologiques. Et qui mieux que Beat Hedinger, à la fois directeur de l’Interprofession schaffhousoise de la vigne et de l’Office du tourisme schaffhousois, pour vanter les synergies existantes entre ces deux secteurs? «Nos vins et nos vignobles gagnent à être connus. L’avenir de notre viticulture passe par le tourisme.» Ainsi, dans le petit village de Trasadingen, on peut dormir dans un «hôtel fûtistique», projet récompensé par l’agroPrix en 2012. À Osterfingen, un immense pressoir à levier de 1730 sert de décor à un restaurant sis dans une bâtisse du XVIe siècle réhabilitée qui fut l’une des plus vieilles caves du vignoble schaffhousois. Enfin, à Schaffhouse, logé au cœur de la vieille ville, le Vinorama permet de découvrir 64 vins provenant de 36 producteurs du canton.
+ D’infos www.blauburgunderland.ch, www.schaffhauserland.ch