Agriculture
Assiégée par les maladies, la filière betteravière organise la résistance

La profession et la recherche se mobilisent pour trouver des solutions afin de préserver la culture betteravière du syndrome des basses richesses et de la jaunisse virale. En misant sur la combinaison de divers outils.  

Assiégée par les maladies, la filière betteravière organise la résistance

La météo calamiteuse de 2020 l’a presque fait oublier: le premier ennemi de la betterave n’est pas la pluie, mais la maladie – cercosporiose, et depuis quelques années syndrome des basses richesses (SBR) et jaunisse virale. Pour lutter contre ces menaces, le Centre betteravier suisse (CBS), l’Office fédéral de l’agriculture et Agroscope, ainsi que la Haute École des sciences agronomiques HAFL et le FiBL, l’Institut de recherche de l’agriculture biologique, ont créé, en 2021, le «Projet betterave», un réseau d’études auquel participent aussi les services phytosanitaires cantonaux. «Le but est de démultiplier les forces pour être actifs sur un maximum de pistes menant à des solutions», synthétise Basile Cornamusaz, responsable du Centre betteravier romand (CBR).

Si les deux dernières maladies citées touchent en particulier la Romandie, le CBS tente depuis 2019 d’obtenir une vision plus fine de la situation en étudiant la répartition et le comportement de leurs vecteurs – le puceron vert du pêcher transmettant les virus responsables de la jaunisse, la cicadelle Pentastiridius leporinus porteuse de la bactérie causant le SBR. «On recherche celle-ci dans les parcelles limitrophes aux champs infestés, confie Floriane Bussereau, chercheuse à Agroscope. On sait qu’elle se déplace en suivant les cours d’eau, à raison de 15 à 20 km par an. L’année passée, on l’a détectée à Genève et à Wangen an der Aare (BE).» Le puceron fait également l’objet d’une traque similaire. De plus, les spécialistes ont découvert que deux des trois virus impliqués dans la jaunisse sont présents partout, alors que le troisième est beaucoup plus localisé.

 

Des essais variétaux

S’il est indispensable de mieux connaître les responsables du syndrome des basses richesses et de la jaunisse, l’option insecticide n’est pas à l’ordre du jour à Agroscope, relève Floriane Bussereau. La recherche de variétés tolérantes ou résistantes semble de fait la piste la plus prometteuse. «Le Centre betteravier gère l’expérimentation variétale en Suisse depuis le milieu des années 1990 et se concentre désormais sur ces deux maladies, en collaboration avec les sélectionneurs, expose Basile Cornamusaz. Mais pour le SBR, qui touche surtout la Romandie, ceux-ci n’ont pas de programme spécifique de développement et doivent chercher dans leur pool génétique les variétés éventuellement intéressantes.»

Deux racines tolérantes au SBR, Xerus et Chevrolet, seront proposées dès 2022. «La situation est différente pour la jaunisse: le nombre de virus en cause rend la tâche ardue, mais les sélectionneurs européens se livrent à une véritable course pour trouver une betterave résistante et performante», note le responsable du CBR. Une variété présentant des résultats encourageants face aux deux principales souches identifiées en Suisse a été retenue dans les essais menés en 2021 et sera retestée cette année. Au total, 20 variétés seront expérimentées pour le SBR, et quatre pour la jaunisse virale.

 

Jouer sur les rotations

Ces essais se dérouleront dans quatre sites pour le SBR et trois autres pour la jaunisse (lire encadré), et impliquent une dizaine d’agriculteurs, indique Basile Cornamusaz. «On a bon espoir! Mais même en cas de succès, ces variétés ne seront pas disponibles avant 2025 sur le marché. Et les sélectionneurs ne s’attendent pas à offrir des solutions performantes face à la jaunisse virale avant l’horizon 2027-2028.»

Le «Projet betterave» explore donc parallèlement la voie agronomique – essentiellement en lien avec le SBR. «L’idée est de casser le cycle de la cicadelle en jouant sur les rotations, à l’échelle d’une région entière, ajoute Alan Storelli à la HAFL. Des recherches en France et en Allemagne montrent que ses larves, pondues dans le sol, se nourrissent des racines des cultures d’automne semées après la betterave et arrivent au stade adulte au printemps, prêtes à infester d’autres champs. À contrario, elles meurent de faim si on remplace un blé d’automne par un maïs semé au printemps.»

Après des essais couronnés de succès sur deux parcelles en 2021, un projet plus ambitieux sera mené cette année dans le Chablais. «Sur les 25 betteraviers de cette région fortement impactée, 20 y participent, soit 84% de la surface dévolue à cette culture. Une proportion suffisante pour obtenir des résultats significatifs», se réjouit le chercheur. Les insectes seront comptés au printemps et à l’été grâce à des pièges à envol – lors du test de l’an dernier, aucune larve n’avait survécu là où le maïs avait succédé à la betterave. «Jouer sur les rotations n’est jamais évident, surtout sur un territoire qui a déjà dû le faire pour lutter contre la chrysomèle du maïs, admet Alan Storelli. Mais en cas de succès, cette stratégie, appliquée sur l’ensemble des régions betteravières, permettrait de maintenir la pression de la maladie au plus bas avant l’obtention de variétés résistantes.» Floriane Bussereau acquiesce: «On s’achemine vers une lutte combinant divers moyens. Rotations, tolérances variétales, et même lutte biologique contre les vecteurs des maladies, au moyen de champignons entomopathogènes ou de nématodes, toutes ces pistes vont vraisemblablement être exploitées.» Comme le dit Basile Cornamusaz, «l’époque où on réglait les problèmes avec une seule solution chimique est désormais révolue».

Texte(s): Blaise Guignard
Photo(s): Thierry Porchet

A l’épreuve des champs

À Granges-près-Marnand (VD), Joël Terrin participe pour la quatrième année consécutive aux essais variétaux menés par le Centre betteravier romand (CBR). «On est dans une région touchée à la fois par le SBR, la jaunisse et la cercosporiose, explique l’agriculteur, qui cultive 18 hectares de betterave. L’impact sur nos dernières campagnes a été considérable: d’un rendement moyen de 85 tonnes et d’un taux de sucre de 17,8%, je suis passé sous la barre des 70 tonnes et des 15%. Du bonus au malus!» Pour la campagne 2022, Joël Terrin a opté pour les nouvelles variétés Xerus et Chevrolet, qui ont montré les résultats les plus prometteurs lors des essais menés en 2021; il testera également Smart Arosa, une variété Conviso récente, tolérante aux herbicides de style sulfonylurées. Pour tout cela, il met à disposition du CBR une surface de 15 mètres de large sur 100 mètres de long, dont l’itinéraire technique est identique au reste de sa parcelle – mais sans protection fongique, précise-t-il. Le CBR s’occupe du semis et effectuera la récolte en tout début de campagne, afin de disposer des résultats à temps pour établir la liste variétale de l’an prochain. «Le suivi de mes parcelles par le Centre betteravier m’est très utile et confirme les observations que je fais de mon côté, relève Joël Terrin. Et j’espère évidemment que la perle rare qui permettra de sauver la production de betteraves suisses fera partie des variétés testées sur ma parcelle d’essai.»