Spécial 120 ans
Armé de ses convictions, il a mis sa voix au service de la lutte paysanne

Chaque mois, nous partons à la rencontre d’une personnalité qui a marqué le monde agricole romand ces cent vingt dernières années. L’agriculteur et syndicaliste neuchâtelois Fernand Cuche en fait partie.

Armé de ses convictions, il a mis sa voix au service de la lutte paysanne

Ses cheveux ont blanchi et sont aussi un peu plus ébouriffés que dans nos souvenirs. Mais les convictions et la rhétorique sont toujours bien présentes. À 72 ans, Fernand Cuche, de multiples fois papa et grand-papa, n’a rien perdu de sa verve. Si le Neuchâtelois profite de la quiétude de son chalet à Lignières – près duquel flotte une banderole en faveur d’une agriculture durable et équitable –, il n’hésite pas à prendre la parole pour défendre ses idéaux et lutter contre toute forme d’injustice. Voilà plus de quarante ans que ce fils de paysans du Val-de-Ruz milite pour une agriculture à dimension humaine.
Il n’a que brièvement quitté le monde de la paysannerie, le temps d’obtenir un diplôme d’assistant social. Fernand Cuche y revient ensuite, en reprenant un petit domaine de 9 hectares, avec des associés. «Nous étions dans l’esprit de mai 68, très critiques face au consumérisme et à la pollution.»

Héritage chrétien
Sa tranquillité sera de courte durée. Sa vie prend un tournant dans les années 1970. Ses voisins lui demandent un coup de main pour comprendre la paperasse nécessaire pour faire tourner leur exploitation, «lui qui a étudié». Fernand Cuche prend son stylo et ne le lâchera pas de sitôt. «J’ai toujours été sensible au sort des plus mal lotis que moi, ce doit être un héritage de la morale chrétienne de ma mère.»
Le syndicalisme est une évidence. Prêt à défendre ses idées et à se battre pour elles, il enchaîne les combats durant sa carrière. Contre la création de grandes porcheries hors sol dans le canton de Vaud d’abord, des projets lancés par Coop et Migros. Mais la population apprend réellement à le connaître lorsqu’il devient secrétaire de l’Union suisse des producteurs, en 1984. «La contestation paysanne existait déjà, notamment en Valais avec les émeutes de Saxon. Mais on a essayé d’innover en marquant les esprits.» Mégaphone à la main, Fernand Cuche bataille, cherche les bons arguments «pour éviter de broder». La contestation sur le prix de la viande gronde, les producteurs bloquent les Migros d’Écublens (VD) ou de La Chaux-de-Fonds, ces «cathédrales de la consommation». Le géant orange cède, un peu. Les actions sont fortes, mais toujours réalisées à visage découvert, sans violence. «J’aime débattre, surtout quand je suis persuadé que ça peut changer. Je ne lâche pas.» Sylvie Bonvin, qui a travaillé à ses côtés, se souvient de ses dons pour synthétiser et vulgariser de longs débats. «Il est très intelligent et a toujours su s’entourer de gens possédant des compétences qu’il n’a pas, poursuit l’agricultrice fribourgeoise et députée Les Verts. C’était notre porte-drapeau, qui savait se faire écouter de tout le monde.»

Lanceur d’alerte
D’ailleurs Fernand Cuche ne limite pas son combat aux frontières helvétiques. En 1993, il participe à la fondation de Via Campesina pour susciter une réflexion sur la souveraineté alimentaire. Aujourd’hui, ce mouvement paysan international regroupe 182 organisations, est présent dans 81 pays et réunit plus de 200 millions de petits producteurs. Jusqu’en 2001, Fernand Cuche reste dans le syndicat, rebaptisé Uniterre, séduit par la liberté de penser qui y règne. Durant son mandat, il doit faire face à plusieurs scandales alimentaires comme celui de la vache folle dans les années 1990. «On a alors gagné en crédibilité. C’était une preuve que le système dérapait, au-delà de l’entendement. Nous étions les premiers à lancer l’alerte.» Sa lutte contre les pesticides et la pollution des sols – par les phosphates contenus dans les lessives notamment – lui attire les foudres d’une partie de son syndicat. Qu’importe, il poursuit ses engagements jusqu’à rejoindre le parti politique des Verts. En 1999, il entre au Conseil national. Il y siégera jusqu’en 2005, puis est élu conseiller d’État à Neuchâtel, poste qu’il occupera jusqu’en 2009.
Aujourd’hui, certains le remercient pour son action, lui confiant «qu’il n’avait pas tout tort». S’il reconnaît avoir eu des moments de «désespérance», Fernand Cuche ferraille encore pour ses convictions, ne mâchant pas ses mots contre les fédérations faîtières, les chambres d’agriculture et même les syndicats. «Pourquoi ne pas communiquer sur les prix du lait ou des céréales? Pourquoi cacher les marges des acheteurs? J’ai l’impression que les syndicats sont moins forts aujourd’hui et que les producteurs ne se battent plus pour de meilleurs prix, mais pour davantage de paiements directs.» Pour sûr, Fernand Cuche n’a pas encore dit son dernier mot.

Texte(s): Céline Duruz
Photo(s): Illustration Marcel G.