De saison
Amis de la longeole, affûtez vos couteaux!

Cette plantureuse saucisse genevoise, protégée par une IGP depuis 2009, sera la star du week-end à Aire-la-Ville. Et d’une année 2017 placée sous le signe du terroir.

Amis de la longeole, affûtez vos couteaux!

«Un tiers de lard de bajoue, un tiers d’épaule et un tiers de couenne d’épaule, la plus fine, le tout pris dans de bons cochons du pays, bien élevés, bien nourris.» Tels sont en substance les ingrédients du plus identitaire des mets genevois, la longeole, dixit Marcel Gal, artisan charcutier à Lancy. Mais encore? Une grosse pincée de graines de fenouil et de l’ail frais, une tombée de muscade, du poivre et du sel nitrité pour lui garder sa belle couleur rose à la cuisson (à raison de deux grammes par kilo).
L’Indication générale de provenance (IGP) qui protège la longeole depuis 2009 définit les grandes lignes de la recette. Mais ne dit rien des petits secrets des derniers gardiens de la tradition: quatorze artisans de la région genevoise, parmi lesquels ­Marcel Gal… Une fois par semaine, dans son arrière-boutique, les parfums anisés se mêlent à la muscade; les différents morceaux sont d’abord passés au hachoir, «une grille pas trop fine pour garder un beau grain», avant d’être assemblés dans le mélangeur, cuve ventrue qui triture intimement quelque quarante kilos de viande. L’artisan interrompt plusieurs fois la machine pour racler les bords à l’aide d’une corne et ramener la masse au centre. Résultat: une texture joliment persillée, onctueuse, évoquant un pot de rillettes géant. Nous sommes un lundi, jour de fermeture du commerce, mais aussi d’intense activité dans le laboratoire. La longeole est un des produits phares de la maison, qui en fabrique 1,3 tonne par an, avec des variations selon la saison. Ce matin, on va en passer deux fois 42 kg au mélangeur, de quoi produire environ 160 pièces, compte tenu de la perte de volume au moment de l’étuvage.

De l’embossage à l’étuvage
L’œil bleu pétillant de gourmandise et de malice, Marcel Gal empoigne la masse à pleines mains au sortir du mélangeur, façonnant de gros ballons qui atterrissent au poussoir. C’est l’embossage: on enfile le chaudin, boyau naturel de porc, sur la canule et hop, une petite pression du genou sur la manette libère une masse de viande à l’intérieur du boyau. Combien? L’IGP précise que le produit fini doit peser au minimum 300 grammes, mais la longeole peut atteindre 450 à 550 grammes. Ces opérations nécessitent du doigté, en particulier l’embossage, afin de ne pas déchirer le boyau, d’éviter la présence d’air, serrer suffisamment la ficelle en attachant la longeole, pas trop toutefois, pour éviter qu’elle implose.
Nous sommes à la veille de la grand-messe annuelle de la longeole, qui distingue invariablement l’artisan lancéen à chaque édition. «On va en passer une bonne vingtaine de kilos juste pour la Nuit de la longeole, explique Marcel, du coup, les 84 kg préparés ce matin seront vite écoulés…» Après avoir ficelé ces belles plantureuses, notre artisan les picote pour évacuer les bulles d’air résiduelles, avant de les mettre à sécher à l’air, attachées deux par deux en hauteur, deux jours environ, selon la qualité de l’air. «C’est la phase dite de l’étuvage: les artisans laissent sécher la longeole à température ambiante, alors que l’industrie recourt à des étuves pour accélérer le processus.

Trois heures, pas plus, pas moins
Et ensuite? «Vous la plongez dans de l’eau en ébullition et vous laissez frémir trois heures. Je dis bien: trois heures, pas deux et demie, trois! Surtout ne jamais la piquer ou elle va perdre tous ses sucs… Et là, vous aurez ce moelleux incroyable, cette chair qui vous fond dans la bouche.» Et la cuisson sous vide? «C’est le nec plus ultra, le truc des meilleurs chefs, assure Marcel avec gourmandise. Notre longeole garde tous ses arômes et ses sucs.»
Mais on n’a pas dit le plus curieux à propos de cette saucisse si typiquement genevoise. Avec sa cuisson interminable, son taux de matière grasse à faire pâlir un cardiologue, cette spécialité charcutière fait figure d’anachronisme. Et pourtant, ses ventes se portent merveilleusement bien: «Je n’en ai jamais vendu autant que cet hiver, sourit l’artisan. 2017 sera l’année de la longeole!»

Texte(s): Véronique Zbinden
Photo(s): Guillaume Mégevand

L’artisan

La Charcuterie Fontaine existe depuis 1955. Marcel Gal la reprend en 2008. «J’ai trois métiers, raconte cet épicurien, la charcuterie, mon premier apprentissage, en Haute-Savoie, les pâtes fraîches, que j’ai appris à confectionner auprès d’un artisan de la place, parce que j’adore la cuisine italienne, et enfin la restauration.» Ses trois produits phares sont la longeole, le pâté en croûte et le foie gras. S’y ajoute toute la gamme traditionnelle: saucisse à rôtir, aux choux, au foie, saucissons et autres jambons, de la viande fraîche et des grillades à la belle saison, le bœuf, le veau et l’agneau représentent 15 à 20% des ventes, le tout de provenance suisse, à l’exception de l’agneau de Sisteron. Marcel Gal a aussi créé sa propre gamme de conserves: rillettes, mousses, sauces maison. Outre les fidèles du commerce de Lancy, la clientèle compte des restaurateurs et des collègues qui ne produisent pas de longeole.

Bon à savoir

En organisant la première Nuit de la longeole, en 2008, ils étaient loin d’imaginer une telle affluence: les pompiers d’Aire-la-Ville ont vite été dépassés par leur succès. André Vidonne, illustre patron de la Boucherie du Palais, a dès lors pris le relais pour l’organisation. Le fan-club de la saucisse n’en finit pas d’enfler depuis lors, avec près de 500 convives en 2016, au point qu’on refuse du monde… Elle revient de loin, pourtant, cette saucisse emblématique. Le Glossaire genevois la mentionne dès 1820, mais il est possible qu’elle doive son origine à des immigrés du Dauphiné, entre la fin du XVIIe et le début du XVIIIe siècle: sa ressemblance avec le murson, aromatisé au carvi, est en effet troublante, note le patrimoine culinaire. Le carvi (cumin sauvage) aurait ensuite été remplacé par le fenouil, à mesure que diminuaient les prairies naturelles. Notre longeole connaîtra son heure de gloire au XIXe siècle – star des foires et produit d’appel dans les auberges de la région – avant de tomber dans un relatif désamour. L’obtention de l’IGP en 2009 – la deuxième, après le cardon – a contribué à la renaissance de cette genevoiserie singulière.
+ D’infos Samedi 4 février 2017: 9e Nuit de la longeole, salle polyvalente d’Aire-la-Ville. Sur inscription:www.aire-la-ville.ch