Du côté alémanique
Agrino, la puissance du collectif

Dans la vallée de la Reuss, trois familles tirent leurs revenus d’une seule et même entreprise agricole, la société Agrino. Un exemple de gestion et d’organisation, où la notion de collectif est cultivée de longue date.

Agrino, la puissance du collectif

Elle s’appelle Gwen, elle est née il y a à peine un mois et elle profite de moments privilégiés avec ses parents et sa grande sœur. Jeunes exploitants agricoles, Nik et Marcia pourraient être surchargés de travail en cette période de récolte, mais ils ont soutenu la gageure de lever le pied durant ce court mais intense moment qu’est l’arrivée d’un nouveau-né. «C’est l’avantage d’être six personnes à travailler sur la ferme. On peut prendre du temps pour nous», apprécie Marcia. Avec son mari, ses beaux-­parents et leurs cousins, elle exploite Agrino, une société agricole pas tout à fait comme les autres sise en Argovie. «Travailler en communauté diminue les risques financiers pour chacun des membres de l’exploitation. Par ailleurs, cette organisation nous permet à tous de bénéficier d’une meilleure qualité de vie.» Avoir congé un week-end sur trois et profiter de trois semaines de vacances par an: voilà ce que peuvent se permettre les membres d’Agrino.

Une histoire de famille
Les familles Peterhans et Imboden ont choisi d’unir leurs destins pour rationaliser le travail en 1974. Deux cousins créent alors une des premières associations du canton, à Busslingen. Nik, qui est né en 1987, a grandi en même temps que la communauté d’exploitation créée par ses oncles. «Pour moi, l’idée de travailler ensemble s’impose naturellement.» Après un CFC de polymécanicien puis une deuxième formation d’agriculteur, il décide de revenir sur la ferme familiale. En 2013, il fonde avec son père Thomas Peterhans et son cousin Samuel Imboden la société de personnes Agrino. «Nous avons opté pour la forme juridique d’une société en nom collectif, autrement dit une société sans capital dans laquelle la responsabilité repose solidairement sur tous les associés.»

Des tâches clairement réparties
En 2015, Nik et Marcia trouvent à reprendre un domaine situé à quelques kilomètres de là, dans le village de Niederrohrdorf. Des grandes cultures, un parcellaire intéressant, un élevage de vaches mères, la possibilité de développer la vente directe: cette exploitation agricole est attractive, mais chère. «Soyons francs, sans l’existence de la communauté d’exploitation, nous n’aurions jamais pu l’acquérir. Les banques nous ont suivis grâce à Agrino.»
Désormais œuvrant sur deux sites, les membres d’Agrino se sont réparti les tâches de façon claire: Nik et Marcia gèrent à Niederrohrdorf l’élevage allaitant, soit une trentaine de vaches mères, ainsi que la vente des veaux, la transformation bouchère et la vente directe sur abonnement de caissettes de viande. «J’ai également la responsabilité de la centrale de production de biogaz», précise Nik. Son père, qui travaille à mi-temps comme conducteur d’autobus, s’occupe du parc machines du domaine, des ruchers, et accueille des écoliers à la ferme avec sa femme Vroni. Quant à Samuel et Josiane Imboden, ils s’occupent du troupeau de vaches laitières, des cultures, ainsi que des chevaux en pension.

Tolérance et confiance
«Concernant le troupeau laitier, je n’ai pas mon mot à dire sur le choix des taureaux ou sur les plans d’affouragement, confie Nik. Par contre, je dois être capable de traire et d’affourager en tout temps.» Chacun des membres de la société gère donc son secteur comme un chef d’entreprise. «L’avantage est de taille: on divise le risque, mais on conserve les avantages du métier de paysan: être indépendant et responsable de ses propres choix.»
Comment la structure a-t-elle résisté aux inévitables tensions et divergences de points de vue? «Tolérance et confiance entre nous sont à la base du fonctionnement d’Agrino», résume Marcia. «On communique également beaucoup, renchérit Nik. Tous les lundis matins, on se réunit pour organiser la semaine. Et chaque mois, on consacre une soirée à passer en revue les problèmes, les choix stratégiques, les gros investissements, etc.»
Les associés d’Agrino ont mis en place un système de rémunération horaire. Autrement dit, Nik et Marcia inscrivent dans un tableau chacune des heures qu’ils effectuent pour l’exploitation, que ce soit pour la mise à jour du site internet, pour refaire une clôture ou remplir un formulaire pour les paiements directs. «Chacune de nos heures est rémunérée à l’identique. Il n’y a pas de différence entre les tâches, petites ou grandes. Ça a le mérite d’être équitable.»

Du temps de gagné
Entre la production d’électricité, de viande de lait et de grandes cultures, Agrino est une exploitation des plus diversifiées. «Multiplier les sources de revenus a toujours fait partie de la stratégie de mon père et de mon oncle, qui souhaitaient avant tout assurer une stabilité financière à l’entreprise», précise Nik, qui n’échangerait le mode de fonctionnement d’Agrino pour rien au monde. «Travailler à plusieurs nous permet également d’être bien plus efficaces dans des tâches qui demandent beaucoup de main-d’œuvre, comme celle qui consiste à bâcher la parcelle de maïs fraîchement semée. À six, ça nous prend à peine une demi-journée, soit trois fois moins de temps que si nous étions deux ou trois.» Le temps gagné? Nik le passe en famille, pour le plus grand plaisir de ses deux petites filles, Gwen et Anouk!

Texte(s): Claire Muller
Photo(s): Claire Muller/DR

Le maïs doux, une spécialité locale

 

Dans la vallée de la Reuss, nombreux sont les paysans à cultiver du maïs doux, dont les épis seront récoltés autour du 1er août. Et pour cause: la société Unicorn, l’un des rares fournisseurs de maïs doux de Suisse aux grands distributeurs, se trouve à Fischbach, à quelques kilomètres de l’exploitation Agrino, et se fournit historiquement dans le périmètre. «On sème le maïs doux le plus tôt possible, dès la fin mars, puis on recouvre la parcelle à l’aide d’immenses bâches. C’est un travail fastidieux», explique Nik Peterhans. Une fois la protection retirée, à la fin du mois de mai, l’itinéraire cultural est identique à celui du maïs grain. «On agende les récoltes au jour le jour, selon les besoins de notre acheteur et du marché.» À la différence des autres exploitations de la vallée, Agrino s’est équipée de machines pour trier et éplucher les épis, qui seront emballés à Fischbach avant d’être envoyés dans les grandes surfaces du pays. «Nous avons également réhabilité de vieux frigos servant au stockage de fruits pour entreposer nos épis de maïs le temps que les commandes arrivent et ainsi éviter les pertes.» Avec 1,5 tonne récoltée par hectare, la culture de maïs doux s’avère la plus intéressante du domaine en termes de marge brute dégagée. «Mais il ne faut pas sous-estimer le travail manuel que ce genre de culture exige.» On compte environ une dizaine de personnes nécessaires pendant les semaines de récolte.

En chiffres

61 hectares soit 30 en surfaces fourragères, 22 en céréales, colza, betteraves, pommes de terre, maïs ensilage et maïs doux.

40 vaches laitières.

30 vaches mères.

7 chevaux en pension, 30 ruchers.

1842 m2 de panneaux photovoltaïques.

1 million de kilowattheures produits par année grâce au biogaz.

+ D’infos www.agrino.ch