Reportage outre-Sarine
À Zurich, Umami cultive une jungle urbaine et agricole nourricière

Si le modèle a fait ses preuves, l’aquaponie n’en reste pas moins souvent cantonnée à un statut anecdotique sur le plan agricole. Une entreprise zurichoise prouve le contraire.

À Zurich, Umami cultive une jungle urbaine et agricole nourricière

Un immeuble au centre de Zurich: pas franchement habituel pour un reportage agricole, a-t-on le temps de se dire dans l’ascenseur qui nous mène au quatrième étage. Les portes s’ouvrent sur un logo affiché en grosses lettres derrière une porte vitrée: Umami. Ce terme japonais qui désigne l’une des saveurs de base avec le sucré, le salé, l’amer et l’acide est aussi le nom de cette entreprise pas comme les autres.
Ici, on produit une vingtaine de variétés de micropousses – mais on préfère le terme anglais de microgreens – selon le principe de l’aquaponie (voir l’encadré ci-dessous). «Ces jeunes pousses sont de véritables bombes de nutriments, relève Luca Grandjean, l’un des membres de l’équipe. Une pousse de radis en contient quarante fois plus qu’un radis à maturité! Ce sont aussi des produits très intéressants en termes de goût.» Leur autre avantage? Ces plantes s’accommodent parfaitement des conditions de l’agriculture urbaine.

Libres d’expérimenter

Les fermes urbaines tiennent souvent plus du laboratoire que de l’exploitation agricole. Les locaux d’Umami, eux, ne ressemblent ni à l’un ni à l’autre. Rayonnages en bois à perte de vue, humidité digne d’une forêt tropicale, musique hip-hop en sourdine, odeur d’humus et, au fond du local, une immense paroi végétalisée où l’eau ruisselle entre les plantes grimpantes et la mousse. «Nous avons tout construit nous-mêmes. Même ce frigo, dont les parois de bois sont isolées avec de la laine de mouton. Notre objectif, c’est d’optimiser la gestion de l’eau et de l’énergie, tout en nous passant d’engrais de synthèse et de traitements.» Les membres de l’équipe ont entre 25 et 35 ans; ils maîtrisent plus les codes de l’entrepreneuriat que ceux de la production agricole. Si leurs parcours sont variés, ils ont un point en commun: aucun n’est issu du monde paysan. «Cela nous procure une liberté totale, note Luca Grandjean, lui-même diplômé en économie d’entreprise. Nous pouvons expérimenter sans limites.»
Trèfle rouge, raifort, rucola, moutarde, fenouil… Exclusivement bios, les graines qui constituent la base des micropousses d’Umami proviennent d’Allemagne et d’Italie. Placées sur un substrat en chanvre, elles passent par deux phases: la germination d’abord, qui dure entre trois et cinq jours, puis la croissance sous une ligne d’ampoules LED qui reproduit le cycle du soleil pendant six à quatorze jours. Le tout sur des plateaux de bois empilés sur ce qui ressemble à des étagères géantes. «Comme les pousses n’ont pas besoin de beaucoup de hauteur, on optimise la gestion de l’espace. En travaillant sur neuf niveaux, nous multiplions d’autant notre surface.» De plus, un tube d’eau passe sur les rampes d’ampoules pour les refroidir et récupérer leur chaleur sur toute la longueur de l’installation.

Des chefs aux particuliers

Lorsque les micropousses sont prêtes, elles sont coupées et conditionnées en sachets, ou vendues enracinées dans leur substrat pour préserver leur fraîcheur. Entrepreneurs avisés, les fondateurs d’Umami ne se sont pas lancés au petit bonheur la chance: la gastronomie est friande de micropousses. Après avoir collaboré uniquement avec des restaurateurs, l’entreprise travaille désormais avec tous les acteurs de la grande distribution suisse, ce qui l’a poussée à revoir son modèle de production et à créer une gamme de produits transformés, qui va de la mayonnaise au pesto.
Ce n’est pas tout de produire des micropousses, encore faut-il savoir les cuisiner: «Elles se prêtent à de nombreux usages, assure Luca Grandjean. Elles apportent de la vitalité à une salade ou un couscous, s’intègrent à des smoothies, voire à une raclette. Mais le plus simple est souvent le meilleur: quelques micropousses sur une tartine de fromage blanc, c’est un régal!» Si l’agriculture urbaine a la cote, peu de ces entreprises parviennent à la viabilité économique. Umami saura-t-il transformer l’essai? Rendez-vous dans quelques années pour le savoir.

Texte(s): Clément Grandjean
Photo(s): Clément Grandjean

Bon à savoir

Un kilomètre six cents: c’est la longueur totale du chemin que parcourt l’eau dans le réseau créé par les fondateurs d’Umami. «C’est un circuit fermé qui repose sur le principe de l’aquaponie, explique Luca Grandjean. Les plantes fonctionnent en symbiose avec des poissons: les excréments de ces derniers constituent un engrais pour les premières, dont les racines purifient l’eau à leur tour. Ce mode de culture est extrêmement économe.» Au-delà de la dimension scientifique de la démarche, l’équipe a voulu créer un véritable écosystème: «Nous prenons exemple sur la nature, qui montre que plus un biotope est complexe, plus il est stable. C’est pour cela que nous multiplions les variétés végétales et animales: dans l’eau, par exemple, il n’y a pas seulement des carpes, mais aussi des moules, des escargots ou des crevettes.» L’idée est d’avoir un système aussi autosuffisant que possible. Deux ans après avoir produit ses premières micropousses, la recette Umami semble fonctionner: «Notre seule intervention, aujourd’hui, consiste à nourrir les poissons.»

En chiffres

Umami, c’est:

  • 3 fondateurs: Manuel Vock, Denis Weinberg et Robin Bertschinger.
  • 11 collaborateurs.
  • 600 m2 de surface dans un immeuble, dont 180 dévolus à la production.
  • 20 variétés de micropousses, 6 à la vente
  • en supermarché et le reste à destination de la gastronomie.
  • 9 à 19 jours, le temps de germination et de croissance en fonction des variétés.
  • 1 à 2 tonnes de production mensuelle.

+ d’infos www.eat-umami.ch