Terroir
L’opération séduction des vignerons suisses

Samedi dernier, plus de 400 curieux ont pu avoir un aperçu du travail de la vigne dans le cadre d’un événement national. Baptisé «Au cœur des vendanges», il visait à présenter au grand public la réalité du terrain.

L’opération séduction des vignerons suisses

Une immense pile de caissettes en plastique jaunes et orange s’élève devant la cave, encadrant un pressoir rutilant. Nous sommes à Chamoson (VS), à la cave La Siseranche, qui participe à la première édition de l’opération nationale «Au cœur des vendanges», proposant à chacun de venir participer à la récolte. Sur place, une dizaine de personnes sont au rendez-vous. Moyenne d’âge entre 60 et 70 ans, solides chaussures aux pieds et sac sur le dos. «J’ai une mauvaise nouvelle, lance Maurice Giroud, le maître des lieux, à l’assemblée. Le raisin n’a pas encore atteint une maturité suffisante pour le vendanger, vous n’aurez donc pas besoin de vos sécateurs aujourd’hui!»

 

Dans le vif du sujet

Pas de panique, malgré ce contretemps, la journée n’est pas annulée pour autant: durant les derniers jours qui précèdent le coup d’envoi de la récolte, les vignerons sont loin de se tourner les pouces. À la cave, il y a la mise en place des cuves, la préparation des caisses et des appareils, le nettoyage du pressoir. Et du côté des vignes, les viticulteurs multiplient les tournées afin d’évaluer le meilleur moment pour démarrer les vendanges. «C’est notre programme de la matinée, dit Maurice Giroud. Vous allez m’aider à faire quelques sondages. Allons, en voiture!»

Dans le minibus qui nous emmène en bringuebalant sur le coteau, on en profite pour faire connaissance avec les autres vignerons d’un jour. Ils viennent du Valais, mais pas seulement: plusieurs Vaudois et une joyeuse délégation fribourgeoise ont fait le déplacement. C’est le cas de Bernard Piccand qui, à peine arrivé dans la parcelle, examine les grappes de raisin avec attention. «C’est dommage qu’on ne puisse pas participer à la vendange, regrette-t-il. Mais ce qui compte vraiment, dans une initiative comme celle-ci, c’est d’entendre un professionnel nous parler de sa démarche, de voir les vignes, de faire des rencontres.»

La discussion attendra: Maurice Giroud distribue de petits sacs en plastique et répartit les participants entre les parchets de vigne. «J’ai besoin que chacune et chacun d’entre vous prélève une vingtaine de grains de chaque cépage pour évaluer le taux de sucre du raisin, explique-t-il. Prenez les grains à différents endroits des lignes et des grappes, pour avoir une moyenne utilisable. On se retrouve de l’autre côté!»

 

Provoquer la rencontre

Avec 21 cépages sur 6 hectares répartis entre le coteau et la plaine du Rhône, il y a fort à faire pour tout voir des vignes de la Siseranche. «D’où vient le nom de la cave, au fait?», demande Marianne Hupka, venue de Salins (VS), en progressant entre les rangées de syrah. «De la rivière qui coule juste ici», répond Maurice Giroud en montrant du doigt le fond de la cuvette rocheuse. «Et le gel du printemps? A-t-il fait des dégâts?» «Combien de temps une vigne produit-elle du raisin?» «Où est-ce que vous achetez vos ceps?» «Dites, ici, c’est une taille Guyot, ou en cordon permanent?».

Sous le massif du Haut-de-Cry, dont les falaises réverbèrent la tiédeur matinale, les questions fusent sans interruption. Cela tombe bien, c’est précisément l’objectif de cette journée: «On constate une vraie demande de la part du grand public, relève Océane Gex, chargée de projet chez Swiss Wine Promotion. Cet événement permet de montrer concrètement ce qu’est le métier de vigneron, de sensibiliser les personnes intéressées aux enjeux de la vigne.»

 

De la vigne au verre

De retour au véhicule, les participants suivent attentivement les instructions de Maurice Giroud: écraser les grains dans le sachet pour en extraire le jus, puis en faire couler quelques gouttes sur le réfractomètre. «Cet appareil permet de mesurer le taux de sucre dans le jus, explique Ludovic Favre, jeune caviste destiné à reprendre les rênes de la cave de son oncle. Voyons voir… 83 degrés Oechsle: c’est trop peu pour la syrah. On attendra que cela grimpe au-dessus de 90 pour vendanger.» Même conclusion pour le johannisberg, le fendant ou la petite arvine. «N’hésitez pas à goûter le raisin, nous encourage Maurice Giroud. L’acidité de l’arvine, les arômes du gewurztraminer, la verdeur de la syrah sont autant d’indications importantes sur le caractère du vin que l’on en tirera.»

Parcelle après parcelle, la petite troupe enchaîne les contrôles tandis que le soleil grimpe vers le zénith. «Tu n’as pas soif, Maurice?» lance l’un des participants en guise de boutade. Il ne croit pas si bien dire: après la partie la plus physique de la journée, une dégustation royale attend les vignerons amateurs. Le maître des lieux ne cache pas le plaisir qu’il éprouve à faire découvrir son domaine. «Ces initiatives sont très importantes, assure Maurice Giroud en menant ses assistants d’un jour vers la cave. À l’heure où de nombreux parchets de vigne, à Chamoson comme ailleurs, sont à l’abandon, c’est le moment ou jamais de rappeler ce qui fait la poésie de notre métier. Et, pourquoi pas, d’éveiller des vocations?»

Texte(s): Clément Grandjean
Photo(s): Clément Grandjean

C’est la saison de l’œnotourisme

Promouvoir le vin, c’est tendance: dégustations insolites, prix récompensant les projets œnotouristiques les plus originaux, randonnées dans les vignes ou visites de caves, les vignerons rivalisent d’imagination pour capter une nouvelle clientèle et faire connaître leur travail. C’est dans cette ligne que s’inscrit l’événement «Au cœur des vendanges», mis sur pied en 2018 en Valais par l’Interprofession de la vigne et du vin et transposé à l’échelle nationale cet automne par la faîtière Swiss Wine Promotion. Outre leur dimension purement touristique, ces initiatives traduisent une volonté nouvelle de communication vis-à-vis du grand public. En effet, faire comprendre d’où vient le vin suisse, c’est l’occasion de justifier son coût élevé en comparaison internationale ou encore de combattre certaines idées reçues, en rappelant par exemple dans quelles proportions et dans quel but les viticulteurs utilisent des produits phytosanitaires.